La gravité d’un secret peut, selon le cas, demander à la protéger, d’abord par le silence, ensuite par une réponse dilatoire (« ceci ne vous regarde pas ») ; mais si cela ne suffit pas, il est permis d’employer un langage qui peut avoir deux interprétations possibles ; il s’agit de la fameuse « restriction mentale », sorte de langage ambigu qui ne peut être utilisé que pour des raisons graves ; par là la vérité n’est pas lésée (puisqu’une des deux interprétations peut être vraie) et le secret non plus (car l’interprétation qui lui correspond n’est pas affirmée comme la seule). Quant à ce qu’on appelle la « désinformation », elle est un mensonge ou une invention, tactique visant à détruire le crédit d’une information gênante mais vraie. La restriction mentale doit donc, sous cet aspect, correspondre à une vérité, mais qui n’est pas celle que l’on doit cacher (celle-ci pouvant peut-être être perçue par un esprit critique et perspicace) ; il s’agit donc ici d’un moindre mal.
J.-M. Aubert, Abrégé de la morale catholique, Paris, Desclée, 1987, p. 379.
La conscience morale n'est pas un juge autonome de nos actions. Les critères de ses jugements, elle les puise dans cette « loi éternelle, objective et universelle », dans cette « vérité immuable » dont parle le texte conciliaire (Dignitatis humanae, n° 3) : cette loi, cette vérité que l'intelligence de l'homme peut découvrir dans l'ordre de l'être. C'est pour cette raison que le concile dit que l'homme est, dans sa conscience, « seul avec Dieu ». Notez-le : le texte ne se limite pas à affirmer : « est seul », mais ajoute « avec Dieu ». La conscience morale ne renferme pas l'homme dans une infranchissable et impénétrable solitude, mais l'ouvre à l'appel, à la voix de Dieu. C'est en ceci - et en rien d'autre - que se trouvent tout le mystère et la dignité de la conscience morale : dans l'être, c'est-à-dire le lieu, l'espace saint dans lequel Dieu parle à l'homme. Par conséquent, si l'homme n'écoute que sa propre conscience, s'il permet que l'erreur vienne y faire sa demeure, alors il brise le lien le plus profond qui maintient l'alliance avec son Créateur. Si la conscience morale n'est pas l'ultime instance qui doit juger de ce qui est bien et de ce qui est mal mais doit se conformer à la vérité immuable de la loi morale, il en résulte qu'elle n'est pas un juge infaillible : elle peut se tromper (...). La conséquence qi découle de cette erreur est très sérieuse : quand l'homme écoute sa propre conscience erronée, son action n'est pas correcte, elle ne réalise pas objectivement ce qui est bien pour la personne humaine. Et ceci, pour le simple fait que le jugement de la conscience n'est pas l'ultime instance morale.