(dans la débâcle de 1940), un couple de bourgeois belges avait emporté ce qu’ils avaient de plus précieux : leur argenterie, un somptueux tapis d’Orient roulé sur le toit de la voiture et une tante cacochyme dont ils étaient les seuls héritiers. Pas question de laisser derrière eux ce trésor ! L’émotion, la bousculade, l’inconfort ; la vieille tante mourut en route. On la conserva un temps assise à sa place dans le fond de la voiture. Mais après une journées, la chaleur rendit la présence du cadavre mal supportable. Alors on décida de rouler la tante dans le tapis d’Orient, qu’à grand-peine on replaça sur le toit. Et l’on chercha une mairie pour faire enregistrer le décès. Mais toutes étaient fermées. Les maires avaient fui avec leurs administrés.
Enfin, on trouva à Orléans un bureau communal ouvert. On s’y précipita pour accomplir les formalités indispensables au recueil de l’héritage. Quand le couple belge ressortit, sa voiture avait été volée.
Maurice Druon, Mémoires II. C’était ma guerre, ma France et ma douleur, Paris, Plon, Éditions de Fallois, 2010, p. 31.