La différence de ces deux introductions à la prière [du notre Père, chez saint Matthieu et chez saint Luc] s’expliquer par la diversité de leurs destinataires. Le catéchisme de Matthieu s’adresse à des hommes sui, dès l’enfance, ont appris à prier, mais risquent de se laisser aller à la routine. Celui de Luc, au contraire, s’adresse à des gens qui ont tout à apprendre de la prière, et qu’il faut encourager. Aucun doute : Matthieu nous transmet un enseignement pour chrétiens d’origine juive, Luc une catéchèse pour païens convertis. Vers l’an 75 de notre ère par conséquent, le Notre Père est, aussi bien dans l’Église judéo-chrétienne que dans l’Église des gentils, élément obligé de la formation à la prière. Quelque différente que fût leur situation, l’une et l’autre Église étaient d’accord sur la nécessité pour un chrétien d’apprendre la prière du notre Père. / Comment donc expliquer la présence chez Matthieu et chez Luc de deux versions différentes ? Nous pouvons à présent répondre : les variantes ne sauraient en aucune manière être attribuées à la volonté propre des évangélistes – aucun auteur n’eût osé prendre sur lui de changer / quelque chose à la prière du Seigneur – ; elles s’expliquent par la diversité des situations concrètes (Sitz im Leben). Nous avons affaire aux textes de deux Églises : les évangélistes nous transmettent chacun le Notre Père dans le texte récité de son temps et dans son Église .
J. Jeremias, Paroles de Jésus. Le sermon sur la montagne. Le Notre Père, Paris, Les Éditions du Cerf, coll. Lectio divina 38, 1963, p. 58-5.