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Dominique Le Tourneau - Page 181

  • Jésus était-il célibataire, marié ou veuf ?


    Les données que les Évangiles conservent nous disent que Jésus a rempli son métier d’artisan à Nazareth (Marc 6, 3) et qu’il avait environ trente ans quand il a commencé son ministère public (Luc 3, 23). Pendant le temps de ce ministère, des femmes le suivent (Luc 8, 2-3) tandis que d’autres ont des liens d’amitié avec lui (Luc 10, 38-42). Même s’il ne nous est dit à aucun moment qu’il était célibataire, marié ou veuf, les Évangiles parlent de sa famille, de sa mère, de ses « frères et sœurs », mais jamais de sa « femme ». Ce silence est éloquent. Jésus était connu en tant que « fils de Joseph » (Luc 3, 23 ; 4, 22 ; Jean2, 45 ; 6, 42) et, quand les habitants de Nazareth sont surpris de son enseignement, ils s’exclament : « N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José,de Jude et de Simon ? Et ses sœurs, ne sont-elles pas ici, chez nous ? » (Marc 6, 3). Dans aucun passage il n’est fait référence au fait que Jésus avait ou aurait eu une femme. La tradition n’a jamais parlé d’un éventuel mariage de Jésus. Et elle ne l’a pas fait non pas parce qu’elle considérait la réalité du mariage comme péjorative envers la figure de Jésus (qui a restitué le mariage dans sa dignité originelle : Matthieu 19, 1-12) ou incompatible avec la foi en la divinité du Christ, mais simplement parce qu’elle s’en est tenue à la réalité historique. S’il avait fallu passer sous silence des aspects qui pouvaient être compromettants pour la foi de l’Église, pourquoi a-t-elle transmis le baptême que Jésus a reçu des mains de Jean-Baptiste, qui administrait un baptême pour la rémission des péchés ? Si l’Église primitive avait voulu passer sous silence le mariage de Jésus, pourquoi ne passe-t-elle pas sous silence la présence de femmes bien précises parmi les gens qui étaient en relation avec lui ?
    Malgré cela, des idées se sont répandues qui affirment que Jésus a été marié. On avance en faveur du mariage de Jésus fondamentalement la pratique et la doctrine commune des rabbins du Ier siècle de notre ère (pour le mariage présumé de Jésus avec Marie-Madeleine, voir « Quelles relations Marie-Madeleine a-t-elle eues avec Jésus ? »). Comme Jésus a été un rabbin et que le célibat était inconcevable parmi les rabbins de l’époque, il a dû être marié (même s’il y avait des exceptions, comme Rabbi Siméon ben Azzai qui, accusé de demeurer célibataire, à répondu : « Mon âme est amoureuse de la Tora. D’autres peuvent faire aller le monde de l’avant », Talmud de Babylone, b. Yeb. 63b). Donc, affirment certains, Jésus, comme n’importe quel Juif pieux, a dû se marier à l’âge de vingt ans et a dû abandonner ensuite sa femme et ses enfants pour accomplir sa mission.
    La réponse à cette objection est double :
    1) Il existe des données comme quoi dans le judaïsme du Ier siècle on vivait le célibat. Flavius Josèphe (La guerre juive 2.8.2 et 120-21 ; Antiquités juives 18.1.5 et 18-20), Philon (dans un passage conservé par Eusèbe, Prep. Evang. 8.11.14) et Pline l’Ancien (Histoire naturelle 5.73, 1-3) nous informent que des Esséniens vivaient le célibat et nous savons que certains membres de Qumran étaient célibataires. Philon (De la vie contemplative) indique aussi que les « thérapeutes », un groupe d’ascètes d’Égypte, vivaient le célibat. En outre, dans la tradition d’Israël, certains personnages célèbres, comme Jérémie, avaient été célibataires. Moïse lui-même, selon la tradition rabbinique, a vécu l’abstinence sexuelle pour maintenir une relation plus étroite avec Dieu. Jean-Baptiste ne s’est pas marié non plus. Par conséquent, tout en étant peu commun, le célibat n’était nullement inouï.
    2) Même si personne n’avait vécu le célibat en Israël, il ne faudrait pas en déduire que Jésus était marié. Les données, comme nous l’avons dit, montrent qu’il a voulu demeurer célibataire et de nombreuses raisons rendent ce choix plausible et convenable, précisément parce qu’être célibataire souligne la singularité de Jésus par rapport au judaïsme de son temps et est plus en accord avec sa mission. Il met en évidence le fait que, sans diminuer la valeur du mariage ni exiger que ceux qui le suivent vivent le célibat, la cause du royaume de Dieu (cf. Matthieu 19, 2), l’amour de Dieu et l’amour envers Dieu qu’il incarne sont au-dessus de tout. Jésus a voulu rester célibataire pour mieux signifier cet amour.

    Juan Chapa, professeur à la faculté de théologie de l’Université de Navarre
    Disponible sur le site www.opusdei.es
    Traduit par mes soins

  • Les 21 Églises catholiques d'Orient (1)

    L’Église catholique n’est pas seulement l’Église latine, de loin la plus importante numériquement, mais un ensemble de vingt-deux Églises de droit propre, dont vingt et une sont de rite oriental et suivent cinq traditions différentes : alexandrine, antiochienne, arménienne, chaldéenne, constantinopolitaine. Le rite « est le patrimoine liturgique, théologique, spirituel et disciplinaire qui distingue parla culture et les circonstances historiques des peuples et qui s’exprime par la manière propre à chaque Église de droit propre de vivre la foi » (Code des canons des Églises orientales, canon 28 § 1).

    Les Églises de tradition alexandrine
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    1. L'Église copte (de l'arabe qoubt, corruption du grec aiguptios ou Égyptiens), qui poursuit la tradition de l’Église autochtone d’Égypte, qui s’opposa à la politique de l’Empereur de Constantinople et aux décisions du concile de Chalcédoine. Les premiers contacts avec l’Église romaine datent d’une mission dominicaine provenant de Terre Sainte, au XIIIe siècle. Une première tentative d'union de l'Église copte orthodoxe avec Rome a lieu pendant le concile de Florence (1438-1445) où deux légats patriarcaux signèrent l'acte d'union. Mais celle-ci ne fut jamais effective bien que les contacts entre Rome et l’Église copte aient été presque permanents. En 1630 une mission de capucins s'établit au Caire. En 1675, franciscains et jésuites suivent. La préfecture franciscaine de Haute-Égypte prend corps. En 1742, le Saint-Siège érige un vicariat apostolique confié au clergé indigène. Léon XII établit en 1824 un patriarcat copte catholique, mais cette union est sans lendemain. Le patriarcat d’Alexandrie pour les Coptes catholiques ne devient effectif qu'en 1895 (constitution apostolique Christi Domini de Léon XIII), avec la création de trois diocèses. L'Église copte compte de nos jours cinq éparchies (l’équivalent oriental des diocèses) en Égypte (Assiout, Ismaïlia, Louqsor, Minieh et Sohag), et une faible émigration.
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    2. L'Église éthiopienne catholique continue l’histoire de la chrétienté éthiopienne qui remonte au IVe siècle. Elle résulte de premiers efforts déployés par les Portugais au XVIe siècle. En 1545, un ambassadeur éthiopien demande un patriarche au roi Jean III du Portugal, qui pense aux jésuites, récemment fondés. Le P. Nuñez Barreto est nommé patriarche, mais au vu des difficultés rencontrées par l’expédition missionnaire, il attend à Goa d’où il envoie en 1557 un évêque et des religieux. Le roi Susenyos se convertit en 1622, et le pape Grégoire XV nomme Alfonso Mendez, S.J., patriarche de l'Éthiopie (1623). Mais une réaction violente s'ensuit et l'union est rompue en 1632 par le successeur de Susenyos. Les tendances latinisantes des missionnaires y étaient pour quelque chose. Des tentatives discrètes sont entreprises en 1839 par les Lazaristes conduits par le bienheureux Justin de Jacobis, nommé préfet apostolique, et par les Capucins, mais une violente persécution (1855-1868) entrave cet effort et bien des convertis retournent au schisme. Les missions catholiques ne jouissent de la paix qu'en 1889. L'occupation italienne (1937-1945) sera profitable à ces missions et permettra une réorganisation ecclésiastique : trois préfectures apostoliques (Gondar, Dessje et Tigré) sont créées tandis que trois vicariats apostoliques (Addis Abéba, Harar et Jimma) et la préfecture de Negelli relèvent de la Congrégation de Propaganda Fide. L'exarchat d'Addis Abéba est créé en 1951, puis élevé au rang de métropole dix ans plus tard. Le principal séminaire, fondé en 1481, se trouve au Vatican.

    (à suivre…)

  • Les âmesdu purgatoire

    L’Église confesse que « ceux qui meurent dans la grâce et l’amitié de Dieu, mais imparfaitement purifiés, bien qu’assurés de leur salut éternel, souffrent après leur mort une purification, afin d’obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1030). Par le biais de la communion des saints, il s’établit une communication de biens spirituels entre elles et nous : nous pouvons prier pour qu’elles entrent rapidement au paradis, en offrant pour elles des suffrages (voir le texte d’hier), et elles intercèdent aussi pour nous. « Les âmes bénies du purgatoire. — Par charité, par justice et par un égoïsme bien pardonnable — elles peuvent tant auprès de Dieu — tiens-en bien compte dans tes sacrifices et dans ta prière.
    Ah ! si tu pouvais dire, en parlant d’elles : « Mes bonnes amies, les âmes du purgatoire… » (saint Josémaria, Chemin, n°571).
    « Il est certain que ces pauvres âmes ne peuvent rien pour elles-mêmes, mais elles peuvent beaucoup pour nous. Cela est si vrai qu’il n’y a presque personne qui ait invoqué les âmes du purgatoire, sans avoir obtenu la grâce demandée. Cela n’est pas difficile à comprendre : si les saints qui sont dans le ciel et n’ont pas besoin de nous, s’intéressent à notre salut, combien plus encore les âmes du purgatoire, qui reçoivent nos bienfaits spirituels à proportion de notre sainteté. « Ne refusez pas cette grâce, Seigneur, disent-elles, à ces chrétiens qui donnent tous leurs soins à nous tirer des flammes ! » Une mère pourrait-elle refuser de demander au bon Dieu une grâce pour des enfants qu’elle aimés et qui prient pour sa délivrance ? Un pasteur, qui, pendant sa vie, n’aura eu que du zèle pour le salut de ses paroissiens, pourra-t-il ne pas demander pour eux, même en purgatoire, les grâces dont ils ont besoin pour se sauver ? Oui, toutes les fois que nous aurons quelque grâce à demander, adressons-nous avec confiance à ces saintes âmes, et nous sommes sûrs de l’obtenir. Quel bonheur pour nous d’avoir, dans la dévotion aux âmes du purgatoire, un moyen si excellent pour nous assurer le ciel ! » (Josse Alzin, Jean-Marie-Baptiste Vianney, saint curé d’Ars. Sermons, Namur, Éd. du Soleil Levant, 1956, p. 164-165).
    Saint Thomas More a écrit un livre savoureux, sous forme de lettres à nous adressées par les âmes du purgatoire, pour prouver l’existence du purgatoire face à ceux qui la niaient et pour nous inviter à ne pas commettre les péchés qui les ont conduites à une telle situation, La Supplication des âmes. Il y dit, entre autres : « Si vous avez la bonté d’en parcourir les pages [de la Supplique], une à une, dans vos moments libres, pour l’amour de toutes nos âmes en peine, vous trouverez un antidote préventif contre le poison mortel de ces porteurs de peste qui veulent nous faire accroire que le purgatoire n’existe pas. Leur cruauté vise, non seulement à refroidir votre miséricorde à notre égard, mais à supprimer totalement l’aide et le réconfort que nous pouvions attendre de vous » (textes présentés et traduits par Germain Marc’hadour, Namur, Les Éditions du Soleil Levant, 1962, p. 140).

  • Dieu est bon (1)

    La Bonté est un des attributs de Dieu, c’est-à-dire un des aspects de la nature, ou perfection de Dieu.
    « Yahvé est bon pour qui espère en lui » (Lamentations 3, 25). « Yahvé est bon ; il est un refuge au jour de la détresse » (Nahum 1, 7). Seigneur, « tu es bon et bienfaisant : enseigne-moi tes prescriptions » (Psaume 119 [118], 68). « Célébrez Yahvé, car il est bon, car sa bienveillance est éternelle » (Psaume 106 [105], 1). Le Nouveau Testament n’est pas en reste pour proclamer la bonté de Dieu. Au jeune homme riche qui lui demande : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en partage », Jésus répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul » (Marc 10, 17-18 ; Luc 18, 19). Et « pourquoi Dieu seul est bon ? Parce qu’il est amour. Le Christ donne cette réponse par les paroles de l’Évangile et, par-dessus tout, par le témoignage de sa vie et de sa mort : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16). Dieu est bon précisément parce qu’il « est amour » (1 Jean 4, 8.16) » (Jean-Paul II, lettre Dilecti amici à tous les jeunes du monde, 31 mars 1985, n° 4). « Ce qui est bon est divin, et ce qui est divin est bon, c’est pourquoi il est dit : Lorsque tu ouvres la main, Seigneur, tous sont comblés de ta bonté. C’est en effet par la bonté de Dieu que nous sont accordés tous les biens qui ne comportent aucun mélange de mal » (saint Ambroise, Traité de fuga sæculi).
    « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres » (Psaume 144 [143], 8-9), et au premier chef pour cette œuvre réussie qu’est l’homme et la femme. Quand il regarda ce qui était sorti « de ses mains », il vit que « cela était très bon » (Genèse 1, 31). C’est pourquoi Yahvé affirme : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais que l’impie se détourne de sa voie et qu’il vive » (Ézéchiel 33, 11).
    Au vu de l’expérience quotidienne, le psalmiste invite le monde entier manifester sa reconnaissance pour la bonté de Dieu, qui se manifeste dans le déroulement de l’histoire et, avec plus d’éclat peut-être, à l’heure des tribulations : « Nations, louez toutes Yahvé ; peuples, célébrez-le tous ! Car sa bonté l’a emporté pour nous, et la fidélité de Yahvé subsiste à jamais » (Psaume 117 [116], 1-2).
    Dieu ne veille pas seulement sur son peuple : il s’occupe aussi de chacun de ses enfants : « Yahvé garde les simples : j’étais faible et il m’a sauvé. Retourne, mon âme, en ton repos, car Yahvé t’a fait du bien » (Ps 116 [114], 6-7). Et ce, non seulement en une occasion particulière exceptionnellement, mais de façon habituelle. Savoir que dieu est notre Père, un Père qui est la Bonté même, nous-même une grande paix et une grande assurance : « Moi, j’ai confiance en ta bonté ; que mon cœur exulte à cause de ton salut ; que je chante Yahvé,lui qui m’a fait du bien » (Ps 13 [12], 6).
    L’homme se rend compte de cette bonté lorsqu’il se trouve dans la proximité de Dieu, quand il cherche à vivre en sa présence. C’est la réaction spontanée et immédiate de Pierre sur le mont Thabor, lorsque Jésus-Christ se transfigure sous ses yeux et apparaît dans sa gloire. Sans trop réfléchir à ce qu’il dit, il laisse échapper cette exclamation : « Seigneur, il nous est bon d’être ici » (Matthieu 17, 4). Le psalmiste a fait la même expérience : « Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu » (Psaume 73 [72], 28).
    L’homme découvre la bonté de Dieu et la joie de sa compagnie. Dieu est bon par nature, par essence. Il est la Bonté en personne, car, en Dieu, tout s’identifie à l’Être. Tout ce qu’il fait est parfait. C’est ce que rapporte le récit de la création dans ses diverses étapes ponctuées du constat divin : « Dieu vit que cela était bon » (Genèse 1, 10.12.18, etc.), et même « très bon » (Genèse 1, 31) après la création de l’homme. Pareillement, les foules qui étaient le témoin de l’enseignement du Christ et de ses miracles, « prises d’une admiration sans borne », disaient : « Il a tout fait à la perfection » (Marc 7, 37).

    (à suivre…)

  • Le mal est vaincu

    « Le Saint-Père [Jean-Paul II], à travers ses paroles et ses œuvres, nous a donné de grandes choses ; mais la leçon qu'il nous a donnée de la chaire de la souffrance et du silence est tout aussi importante. Dans son dernier livre Mémoire et identité (Rizzoli 2005), il nous a laissé une interprétation de la souffrance qui n'est pas une théorie théologique ou philosophique, mais un fruit mûri au cours de son chemin personnel de souffrance, qu'il parcourut avec le soutien de la foi dans le Seigneur crucifié. Cette interprétation, qu'il avait élaborée dans la foi et qui donnait un sens à sa souffrance vécue en communion avec celle du Seigneur, parlait à travers sa douleur muette en la transformant en un grand message. Que ce soit au début ou à la fin du livre susmentionné, le Pape se montra profondément touché par le spectacle du pouvoir du mal dont, au cours du siècle qui vient de se terminer, nous avons pu faire l'expérience de manière dramatique. Il dit textuellement : « Cela n'a pas été un mal à petite échelle. Cela a été un mal aux proportions gigantesques, un mal qui s'est servi des structures de l'État pour accomplir son œuvre néfaste, un mal érigé en système » (p. 198).
    Le mal est-il invincible ? Est-il la véritable puissance ultime de l'histoire? À cause de l'expérience du mal, la question de la rédemption était devenue pour le Pape Karol Wojtyla la question essentielle et centrale de sa vie et de sa pensée comme chrétien. Existe-t-il une limite contre laquelle se brise la puissance du mal ? Oui, elle existe, répond le Pape dans son livre, ainsi que dans son Encyclique sur la rédemption. Le pouvoir qui pose une limite au mal est la miséricorde divine. À la violence, à l'ostentation du mal s'oppose dans l'histoire — comme « le totalement autre » de Dieu, comme la puissance propre à Dieu — la miséricorde divine. L'agneau est plus fort que le dragon, pourrions-nous dire avec l'Apocalypse.
    À la fin du livre, dans une vision rétrospective sur l'attentat du 13 mai 1981 et également sur la base de son chemin avec Dieu et avec le monde, Jean-Paul II a davantage approfondi cette réponse. La limite du pouvoir du mal, la puissance qui, en définitive, le vainc est, nous dit-il, la souffrance de Dieu, la souffrance du Fils de Dieu sur la Croix : « La souffrance de Dieu crucifié n'est pas seulement une forme de souffrance à côté des autres… Le Christ, en souffrant pour nous tous, a conféré un nouveau sens à la souffrance, il l'a introduite dans une nouvelle dimension, dans un nouvel ordre : celui de l'amour… La passion du Christ sur la Croix a donné un sens radicalement nouveau à la souffrance, l'a transformée de l'intérieur… C'est la souffrance qui brûle et consume le mal avec la flamme de l'amour… Chaque souffrance humaine, chaque douleur, chaque maladie contient une promesse de salut… Le mal… existe également dans le monde pour réveiller en nous l'amour, qui est don de soi… à celui qui est touché par la souffrance… Le Christ est le Rédempteur du monde : « Dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Isaïe 53, 5) » (p. 198 sq).
    Tout cela n'est pas simplement une théologie érudite, mais l'expression d'une foi vécue et mûrie dans la souffrance. Assurément, nous devons faire tout notre possible pour atténuer la souffrance et empêcher l'injustice qui provoque la souffrance des innocents. Toutefois, nous devons également faire tout notre possible pour que les hommes puissent découvrir le sens de la souffrance, pour être ainsi en mesure d'accepter leur propre souffrance et l'unir à la souffrance du Christ. Ainsi, celle-ci se fond avec l'amour rédempteur et devient, en conséquence, une force contre le mal dans le monde. La réponse qui a été donnée dans le monde entier à la mort du Pape a été une manifestation bouleversante de reconnaissance pour le fait que, dans son ministère, il s'est totalement offert à Dieu pour le monde ; un remerciement pour le fait qu'il nous a enseigné à nouveau, dans un monde rempli de haine et de violence, à aimer et à souffrir au service des autres ; il nous a montré, pour ainsi dire, le Rédempteur vivant, la rédemption, et il nous a donné la certitude que, de fait, le mal n'a pas le dernier mot dans le monde.»

    Benoît XVI, Discours aux membres de la curie romaine, 22 décembre 2005.

  • Voyage à Khinsasa

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    Le mal d'Afrique est un mal dont on ne meurt pas
    Mais il est rare que ceux qui portent leurs pas
    Sur ce grand continent piriforme y échappent :
    C'est fièvre d'amour qui fermement vous attrape.

    C’est irrationnel, et un peu incontrôlé,
    L'étranger ne se laisse certes pas enjôler,
    Non, il est plutôt embobeliné, séduit
    Par des sortes d'effluves dont il est comme enduit.

    Au Congo, Kinshasa, la grande métropole,
    Elle aussi de colline en colline cajole
    Le nouveau venu, quel qu'il soit, et le mignote,
    Fait pression sur son cœur, puis après le grignote.

    L'explorateur Stanley John fonda cette ville
    Pensant au roi, il la nomma Léopoldville,
    Hommage à qui créa pour une coloniale
    L'Association africaine internationale.

    Le majestueux Congo s'étale et prend ses aises
    Puis chute d’un seul coup, rappelant le Zambèze.
    Il forme à Kinshasa le seul Malebo Pool
    Large de bien trente kilomètres et s'écoule

    Vers Matadi, où il est agité soudain.
    Par ses rapides il file non sans dédain,
    Tandis que dans les rues des foules de kinois
    Déambulent toujours avec leur gai minois.

    Ils vont, ils viennent sur des artères de sable
    Entre des palissades d'où n'émerge aucun gable.
    Ils gravissent les pentes, et puis en redescendent
    En colonnes sans fin qui de partout serpentent.
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    Qu'importe s'il n'y a plus aucun lampadaire,
    Si les lampes à huile donnent un drôle d'air
    À la ville, où la nuit est tombée de bonne heure,
    Sa latitude étant à peu près l'équateur ?

    Qu'importe tout ce qui manque à l'occidental ?
    Il est pris, quoi qu'il veuille, c'est tout sentimental,
    Par l'atmosphère ambiante et puis par l'air du temps,
    Par l'humus africain et par ses habitants.

  • L'Évangile de Judas

    Un lecteur m'a demandé ce que je pensais de l'Évangile de Judas. Bien que lui ayant répondu, il me semble intéressant de reprendre maintenant ce texte.
    Il s’agit d’un manuscrit découvert en 2001, dont nous connaissions l’existence par saint Irénée de Lyon (vers 130-202 ap. J.-C.) qui le combat, et que l’on croyait irrémédiablement perdu. Il est extrêmement rare de retrouver un manuscrit d'un traité aussi ancien. Et celui-ci est remarquablement complet : nous avons les trois-quarts du texte.medium_EvangileJudas.jpg
    Le récit développé dans « l’évangile de Judas », commence par montrer Jésus qui rejoint ses disciples en train de préparer la Pâque. Jésus se moque d’eux et explique que célébrer l’eucharistie est inutile ! Il essaie de les instruire des idées gnostiques, mais il voit très bien qu’ils sont trop stupides pour le comprendre. Sauf Judas, que les autres détestent, mais que Jésus affectionne particulièrement. Jésus, à l’issue d’un long dialogue où il l’initie et interprète ses rêves, demande lui-même à Judas de le livrer aux autorités afin qu’il soit délivré de son corps matériel et retourne vers la lumière. Et le récit se termine sobrement sur la rencontre de Judas avec les Juifs qui cherchent Jésus.
    L’auteur s’adresse donc à un public qui connaît les Évangiles et en même temps, il prétend révéler leur « vrai » sens. Les gnostiques ont toujours aimé « retourner » des personnages qui symbolisent le mal ou l’ambiguïté dans la Bible, comme Caïn, le premier criminel, le roi Hérode qui massacra les enfants innocents, ou encore Thomas, le disciple incrédule et ici Judas, le traître perfide. En ayant ce manuscrit sous les yeux, on comprend mieux la colère d’Irénée de Lyon pour qui cette interprétation de la relation entre Judas et Jésus est insultante et hérétique !

  • Dieu est bon (2)

    Même dans un moment aussi dramatique que la crucifixion, la bonté de Dieu éclate au grand jour. Au lieu de paroles de haine ou de vengeance, Jésus dit à son Père : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Cela suffit à faire réagir un malfaiteur qui se trouvait crucifié avec lui. Il lui adresse une demande : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. Et il lui dit : « En vérité je te le dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23, 42-43). Ô paradoxe de l’amour de Dieu, le premier racheté à entrer au paradis, sitôt que Jésus a rendu son esprit est un fieffé brigand qui a mérité d’être condamné à mort par un tribunal humain…
    Cette bonté de Dieu s’exprime en tout premier lieu par la création. Puis il se révèle aux hommes, en parlant leur langage. Mais elle se surpasse vraiment quand elle en arrive à la « folie de la Croix » (voir 1 Corinthiens 1, 23). C’est le comble de l’Amour. « L’abîme de malice que le péché comporte a été franchi par la Charité infinie. Dieu n’abandonne pas les hommes. Les desseins divins prévoient que, pour réparer nos fautes, pour rétablir l’unité perdue, les sacrifices de l’Ancienne Loi ne suffisaient pas : il fallait le don de soi d’un homme qui fût Dieu » (saint Josémaria, Quand le christ passe, n° 95) : c’est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, la seconde Personne de la Très Sainte Trinité, qui s’incarne, c’est-à-dire qui prend chair, un corps semblablement nôtre en tout, hormis le péché (voir Hébreux 4, 14).
    Le Christ est envoyé aux hommes, lui qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. […] Il est venu chez les siens, mains-libres ne l’ont pas reçu. Mais à ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean 1, 1.11-12).
    Dans ces conditions, comment douter de cette bonté, si ce n’est par haine de Dieu, haine qui « vient de l’orgueil. Elle s’oppose à l’amour de Dieu dont elle nie la bonté et qu’elle prétend maudire comme celui qui prohibe les péchés et qui inflige les peines » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 2094).
    « Puisque le seigneur est bon, et surtout envers ceux qui espèrent en lui, attachons-nous à lui, soyons avec lui de toute notre âme, de tout notre cœur, de toutes nos forces pour et redans sa lumière, pour contempler sa gloire et pour posséder la grâce du bonheur céleste. Tendons nos esprits versement, soyons en lui, vivons en lui, attachons-nous à lui, à ce bien qui dépasse toute pensée et toute réflexion, qui jouit d’une paix et d’une tranquillité perpétuelles ; une paix qui surpasse toute pensée et «tout sentiment » (saint Ambroise, Traité de fuga sæculi).
    Mais l’homme fait cependant l’expérience du mal…

  • Dieu est Père

    Dieu est notre père, un Père qui nous aime plus que tous les pères et toutes les mères de la terre réunis, faisait remarquer saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei. La claire conscience d’être enfant de Dieu donne un sens vigoureusement optimiste et une grande paix à notre existence. En toutes circonstances, qu’elles nous semblent favorables ou adverses, faciles ou difficiles, plaisantes ou désagréables, pensons : « Dieu est mon Père et un Père tout-puissant et infini. Il m’aime à la folie. Il veut donc constamment mon bien véritable. Il sait mieux que moi ce qui me convient à chaque instant. Tout ce qui m’arrive est donc ce que Dieu a choisi ou permis pour moi afin que je sois saint et heureux. Pour parler selon notre façon humaine de nous exprimer, il n’a pas pu trouver mieux pour moi. Il n’existe donc pour moi de meilleure façon de me sanctifier que d’aimer cette sainte volonté de Dieu et de m’efforcer d’y adhérer, avec l’aide de la grâce divine. »
    Telle est la réalité la plus importante concernant notre vie. Si nous l’envisageons sous l’angle des rapports entre un père et son enfant, tout s’insère dans les plans de Dieu, qui sont des plans de salut. « Les projets que j’ai projetés pour vous sont des projets de bonheur et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance » (Jérémie 29, 11). C’est l’attitude permanente de Dieu, sur laquelle il ne peut revenir.
    Il a un faible pour l’homme qu’il a créé, mais qu’il sait fragile. Dieu nous a créés par pure bonté, afin que nous puissions participer de son bonheur. Et il semble trouver lui-même sa joie à nous fréquenter, bien que nous soyons de pauvres pécheurs. Je trouve « mes délices parmi les enfants des hommes » (Proverbes 8, 31), dit le Dieu tout-puissant. C’est surprenant, mais c’est une surprise fort agréable pour nous.
    À nous de trouver aussi notre bonheur et notre joie d’être avec le Seigneur. Allons le chercher là où il est : dans la Parole, le Nouveau Testament notamment, dans l’Eucharistie, sacrement de la présence réelle de Jésus-Christ parmi les siens, dans les autres sacrements, dans les événements qu’il dirige par sa providence, dans les autres pour lesquels le Christ a aussi versé son Sang sur la Croix.
    « Appuie-toi sur la filiation divine. Dieu est un Père — ton Père ! — plein de tendresse, plein d'un amour infini.
    — Appelle-le souvent du nom de Père et dis-lui, seul à seul, que tu l'aimes très fort ! Que tu te sens tout fier et fort d'être son enfant » (saint Josémaria, Forge, n° 331).

  • Regard de Jésus au tabernacle

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    Tu jettes sur moi un regard d’intelligence
    Qui met en lumière les points de divergence
    Entre les devoirs de notre union baptismale
    Et les réclamations du vieil homme animal.
    Je vois un Christ qui n’est pas Jésus, mais l’image
    Que mes yeux, voilés par les péchés, ont formé.
    Componction, humilité, constituent le lavage
    Indispensable pour pouvoir les ranimer.
    Or toi, du ta bernacle d’où tu me dévisages,
    Même si je suis en permanent déphasage
    Avec ton Amour, je m’ouvre tout grand à toi,
    Car le feu de l’Esprit me brûle et me nettoie.
    À genoux sur un prie-Dieu, assis sur un banc,
    Nous restons tous les deux, seuls dans un face à face.
    Et tu m’apportes la clarté du Mont Liban,
    Nous conversons et la notion du temps s’efface.
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    Le silence éloquent de ton éternité
    Soulève un peu le voile de ta divinité.
    Mais c’est le regard de qui est Dieu, de mon Dieu,
    Aussi surprenant que cela puisse paraître,
    Qui donne d’exister et maintient dans l’être,
    Pendant le cours de la vie terrestre et aux cieux.
    Comme j’aimerais être à jamais absorbé
    Dans l’univers où tout mon mal est résorbé.
    Ah ! Jésus-Hostie, quelles minutes délicieuses
    Que celles consacrées à la contemplation !
    Et combien l’âme en tire comme consolation !
    Que ta présence bien réelle est mystérieuse !
    C’est un dard qui traverse jusqu’à la moelle osseuse,
    Un dard qui blesse sans blesser, car il est fait
    D’Amour étourdissant, d’ambitions audacieuses
    Qu’il concoure sans cesse à exalter, à chauffer.
    Mesuré à toi, je ne suis qu’un avorton,
    Sans concevoir aucune humiliation.
    Je ne suis qu’un morceau écorné de carton
    Prêt à recevoir une divine ondulation.
    Présente-moi le Père, et cela me suffit,
    Puisque toi seul a pouvoir de le révéler.
    Les contacts établis entre nous m’édifient
    Et je m’approche de toi jusqu’à te frôler.
    En scrutant ton visage je me mets à t’aimer
    Pour parvenir à la grandeur paroxystique :
    De tout mon cœur et mes forces, à m’en pâmer,
    De tout mon esprit, pour égaler les mystiques.
    Ma présence ne passe guère souventes fois
    Celle du chiot fidèle couché devant son maître,
    Mais je suis là pourtant, témoignant de ma foi :
    Je t’offre toutes mes facultés, tout mon être.
    « Plus je te vois, plus je t’entends et plus je t’aime.
    Tu dis des mots, des mots d’amour, toujours les mêmes. »
    Je ne vois pas pourquoi il faudrait en changer
    Alors que chacun d’entre eux me rend plus léger.
    Le regard du Fils, c’est aussi celui du Père
    Et celui de l’Esprit, un regard trinitaire,
    Qui, in abscondito, m’aide à le découvrir,
    À me reconnaître en lui, pour ne pas mourir,
    À comprendre que je saurai à la manière
    Dont je suis connu par Dieu, la Science plénière,
    À exulter en Dieu et en Dieu me réjouir,
    À laisser pour toujours son regard m’éblouir.