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Dominique Le Tourneau - Page 187

  • Que s'est-il passé à la dernière Cène ?


    Les heures qui ont précédé la Passion et la mort de Jésus sont restées gravées avec une force singulière dans la mémoire et le cœur de ceux qui ont été avec lui. C’est pourquoi les écrits du Nouveau Testament conservent pas mal de détails au sujet de ce que Jésus a fait et dit au cours de son dernier repas. Selon Joachim Jeremias, c’est un des épisodes les mieux attestés de sa vie. Dans cette circonstance, Jésus retrouvait seul avec les douze apôtres (Matthieu 26, 20 ; Marc 14, 17 et 20 ; Luc 22, 14). Ni Marie, sa mère, ni les saintes femmes, ne l’accompagnaient.
    Selon le récit de saint Jean, au commencement, dans un geste lourd de signification, Jésus lave les pieds de ses disciples, leur donnant ainsi un exemple humble de service (Jean 13, 1-20). Ensuite a lieu un des épisodes les plus dramatiques de cette réunion : Jésus annonce qu’un d’entre eux va le trahir, et ils se regardent les uns les autres avec stupéfaction tandis que Jésus désigne Judas avec une grande délicatesse (Matthieu 26, 20-25 ; Marc 14, 17-21 ; Luc 22, 21-23 et Jean 13, 21-22).
    Au cours de la célébration proprement dite de la cène, le fait le plus surprenant a été l’institution de l’Eucharistie. Nous conservons quatre récits de ce qui s’est passé à ce moment-là : les trois récits des synoptiques (Matthieu 26, 26-29 ; Marc 14, 22-25 ; Luc 22, 14-20) et celui de saint Paul (1 Co 11 ? 23-26). Ils sont très semblables entre eux. Il s’agit dans tous les cas de narrations de quelques versets à peine, qui rappellent les gestes et les paroles de Jésus qui ont donné lieu au sacrement et qui constituent le noyau du rite nouveau : « Il prit ensuite du pain, le rompit après avoir rendu grâces et leur en donna en disant : — Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi » (Luc 22, 19 et parallèles).
    À la fin du repas, quelque chose d’une importance particulière se produit : « Et pareillement, après le souper, il prit la coupe en disant : — Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, versé pour vous » Luc 22, 20 et parallèles).
    Les apôtres comprirent que s’ils avaient assisté auparavant à la remise de son corps sous les apparences du pain, il leur donnait maintenant son sang à boire dans le calice. De cette façon, la tradition chrétienne a perçu dans ce souvenir du don séparé du corps et du sang un signe efficace du sacrifice qui devait consommer quelques heures plus tard sur la Croix.
    En outre, pendant tout ce temps, Jésus parlait avec affection, laissant ses derniers mots dans le cœur de ses apôtres. L’Évangile selon saint Jean conserve le souvenir de cette conversation longue et intime. C’est à ce moment-là que se situe le commandement nouveau, dont l’accomplissement sera le signe distinctif des chrétiens : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, et que vous vous aimiez comme je vous ai aimés. C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jean 13, 34-35).

    Francisco Varo, doyen de la faculté de théologie de l’Université de Navarre
    Disponible sur le site www.opusdei.es
    Traduit par mes soins

  • Les gnostiques

    Le nom « gnostique » vient du mot grec gnosis qui veut dire connaissance. Le gnostique est donc celui qui acquiert une connaissance spéciale et vit en accord avec elle. Le mot gnosis n’a donc pas un sens péjoratif. Certains Pères de l’Église, comme Clément d’Alexandrie et saint Irénée, parlent de la gnose au sens de la connaissance de Jésus-Christ obtenue par la foi : « La vraie gnose, écrit saint Irénée, est la doctrine des apôtres » (Adversus hæreses 4.33).
    Le terme gnosis a pris un sens péjoratif quand il a été appliqué par les mêmes Pères à des hérétiques qui ont une certaine importance aux IIème et IVème siècles. Le premier à les qualifier ainsi est saint Irénée ,qui en voit l’origine dans l’hérésie de Simon le samaritain (Actes 8, 9-24) et dit que ses adeptes se sont répandus à Alexandrie, en Asie mineure et à Rome, donnant lieu à « une multitude de gnostiques qui sortent de terre comme des champignons » (Adversus hæreses 1.29.1). Saint Irénée poursuit en disant que les valentiniens, qu’il combat directement, descendent d’eux. Il explique une telle abondance et diversité de sectes en disant que « la plupart de leurs auteurs, en réalité tous, veulent être des maîtres ; ils s’en vont de la secte à laquelle ils ont adhéré et montent un enseignement à partir d’une autre doctrine, puis à partir de celle-là en naît une autre, mais tous insistent sur le fait qu’ils sont originaux et qu’ils ont trouvé par eux-mêmes les doctrines qu’ils se sont limités en réalité à compiler (Adversus hæreses 1.28.1).
    De ces informations de saint Irénée et des autres Pères qui ont été amenés à combattre ces hérétiques (en particulier saint Hyppolite de Rome et saint Épiphane de Salamine), il découle que les groupuscules ont été si nombreux (simoniaques, nicolaïtes, ophites, naasséniens, séthéens, pérates, carpocratiens, valentiniens, marcosiens), ainsi que les maîtres (Simon, Cérinthe, Basilides, Carpocrate, Cerdon, Valentin, Ptolémée, Théodote, Héracléon, Bardesane…), qu’ils sont tombés sous la dénomination de « gnostiques », et qu’on ne peut les regrouper sous ce nom que de façon très générale. Des près de quarante œuvres « gnostiques » hérétiques découvertes en 1945 à Nag Hammadi (Haute-Égypte) on tire une impression semblable ; chaque ouvrage contient son orientation doctrinale hérétique propre.
    Dans cette diversité, les gnostiques les mieux connus sont les valentiniens, qui sont également ceux qui ont exercé la plus forte influence. Ils agissaient dans l’Église comme « une bête sauvage cachée », dit saint Irénée. Ils avaient les mêmes Saintes Écritures que l’Église, mais ils les interprétaient en sens contraire. Selon eux, le Dieu vrai n’était pas le Créateur de l’Ancien Testament ; ils distinguaient plusieurs Christs parmi les êtres du monde céleste (des éons) ; ils estimaient que le salut s’obtenait par la connaissance de soi comme une étincelle divine enfermée dans la matière ; que la rédemption du Christ consiste à nous réveiller de cette connaissance, et que seuls les hommes spirituels (pneumatomaques) étaient destinés au salut. Le caractère élitiste de la secte et le mépris du monde créé déterminaient, parmi d’autres traits, la mentalité de ces hérétiques, qui sont les principaux représentants des « gnostiques ».

    Gonzalo Aranda, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Navarre
    Disponible sur le site www.opusdei.es
    Traduit par mes soins (pour les sectes mentionnées ci-dessus, on pourra consulter mon ouvrage Les mots du christianisme, Fayard)

  • La transmission des Évangiles

    Il est bien connu que nous ne possédons aucun manuscrit des Évangiles, tout comme il n’en existe aucun des livres de l’Antiquité. Les écrits se transmettaient par des copies manuscrites sur papyrus et plus tard sur parchemin. Les Évangiles et les premiers écrits chrétiens suivent ce type de transmission. Le nouveau Testament laisse déjà entendre que certaines lettres de saint Paul avaient été copiées et transmises dans un corps d’écrits (2 Pierre 3, 15-16), et il en va de même avec les Évangiles : les expressions de saint Justin, saint Irénée, Origène, etc. citées dans « Qui furent les évangélistes ? » (note mise sur ce blog le 3 juillet) laissent entendre que les Évangiles canoniques ont été aussitôt copiés et transmis ensemble.
    Le matériau utilisé dans les premiers siècles de l’ère chrétienne a été le papyrus. On commence à partir du IIIème siècle à utiliser le parchemin, plus résistant et plus durable, puis le papier à compter du XIVème siècle. Les manuscrits des Évangiles que nous conservons, après une étude attentive de ce que l’on appelle la critique textuelle, montrent que, comparé à la plupart des ouvrages de l’Antiquité, la fiabilité que nous pouvons accorder au texte dont nous disposons est très grande. En premier lieu du fait de la quantité de manuscrits. Nous possédons, par exemple, moins de 700 manuscrits de L’Illiade, mais d’autres ouvrages, comme Les Annales de Tacite, nous n’avons que quelques manuscrits et un seul de ses six premiers livres. En revanche, du Nouveau Testament, nous avons près de 5 4000 manuscrits grecs, sans compter les versions anciennes dans d’autres langues et les citations du texte dans les ouvrages des auteurs anciens. En outre, il faut tenir compte du temps qui sépare la date de composition du livre de celle du manuscrit le plus ancien. Alors que pour de très nombreuses œuvres classiques de l’Antiquité il s’agit de près de dix siècles, le manuscrit le plus ancien du Nouveau Testament (le papyrus de Rylands) est de trente ou quarante ans postérieur au moment de la composition de l'Évangile de saint Jean ; nous avons des papyrus du IIIème siècle (papyrus de Bodmer et de Chester Beatly) qui montrent que les Évangiles canoniques déjà collectionnés se transmettaient en codex ; à partir du IVème siècle, les témoignages sont presque interminables.
    Si nous comparons les manuscrits, nous trouvons bien évidemment des erreurs, de mauvaises lectures, etc. La critique textuelle des Évangiles et des manuscrits anciens examine les variantes qui sont significatives, cherchant à découvrir leur origine, parfois un copiste qui essaye d’harmoniser le texte d’un Évangile avec celui d’un autre Évangile, ou un autre qui cherche à expliquer une expression qui lui semble incohérente, etc., pour établir de cette façon le texte original. Les spécialistes sont d’accord pour affirmer que les Évangiles sont les textes de l’Antiquité que nous connaissons le mieux. Ils se fondent pour cela sur l’évidence de ce qui a été dit au paragraphe précédent ainsi que sur le fait que la communauté qui transmet les textes est une communauté critique, des personnes qui impliquent leur vie dans ce qui est affirmé dans les textes et qui, manifestement, ne l’engageraient pas pour des idées créées pour l’occasion.

    Vicente Balaguer, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Navarre
    Disponible sur le site www.opusdei.es
    Traduit par mes soins

  • Liberté, liberté chérie… (7)

    Liberté, vérité et charité

    Toute la conduite de Monseigneur Escriva témoigne avec éloquence de sa liberté d'esprit, qui l'amène à se soucier du jugement que Dieu portera sur ses actes sans se chagriner le moins du monde de l'appréciation des hommes. « Prenons la décision de ne jamais nous attrister si certains mettent en doute la droiture de notre conduite, s'ils interprètent de façon erronée le bien qu'avec l'aide continuelle du Seigneur nous nous efforçons de réaliser et si, jugeant mal nos intentions, ils nous prêtent de mauvais desseins et une conduite malhonnête et hypocrite. Pardonnons toujours, le sourire aux lèvres » (saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 11).
    Car le fait de transiger envers les personnes est indissociable d'une « sainte intransigeance » (saint Josémaria, Sillon, n° 384).
    La liberté véritable amène inévitablement à adopter une conduite qui n'est pas celle de tout le monde, sans qu'il soit nécessaire de quémander ce droit à la liberté chrétienne, « parce que le Christ nous l'a désormais gagnée à tout jamais ». Cependant l'enfant de Dieu doit « la défendre et la manifester dans n'importe quel milieu. C'est seulement ainsi qu'ils comprendront que notre liberté n'est pas liée à l'environnement » (Ibid., n° 423), qu'elle n'est pas une attitude de circonstance, mais qu'elle est un choix délibéré et opératif.
    La fidélité exigeante à la vérité et le respect des consciences vont donc de pair. Le respect de l'ordre naturel requiert que l'homme cherche assidûment la vérité. « La liberté acquiert son sens authentique lorsqu'on l'exerce au service de la vérité qui rachète, lorsqu'on en use pour rechercher l'Amour infini d'un Dieu qui nous libère de toutes les servitudes » (saint Josémaria, Entretiens avec Mgr Escriva, Paris, 1987, n° 84), notamment sa liberté intérieure, le sanctuaire de sa conscience. « Face à ces soupçonneurs professionnels, qui semblent vouloir organiser une traite de l'intimité, il faut défendre la dignité de chaque personne, ainsi que son droit au silence » (saint Josémaria, Chemin, n° 665). Parce que la « vraie vertu n'est pas triste ou antipathique, mais aimablement joyeuse » (Ibid., n° 657). Alors dans toutes les éventualités de la vie faisons monter notre action de grâce vers le Très-Haut : « Si les choses marchent bien, réjouissons-nous et bénissons Dieu qui les a fait prospérer. — Vont-elles mal ? — Réjouissons-nous et bénissons Dieu, qui nous fait participer de sa douce Croix » (Ibid., n° 658).

    (à suivre…)

  • Un voyage en Corse

    Un de mes cousins, Louis Le Tourneau, a retrouvé de vieux papiers de famille et a pris la peine de transcrire un récit de voyage rédigé par mon arrière grand-oncle, Fernand Le Tourneau (1875-1959).

    SÉJOUR à BASTIA et TOUR du CAP CORSE par M. et Mme Le Tourneau, Mai 1909
    medium_Bastia.jpg
    Dimanche après-midi, nous sommes allés nous promener dans la ville, et sur la côte, où le tramway nous a amenés à trois kilomètres pour 0.20 [francs]. Le tramway est un petit break de 6, où l’on a la prétention de faire tenir jusqu’à 10 personnes, du même modèle que les fiacres de la ville.

    Vers 6 heures, sur la Place Saint-Nicolas, nous nous sommes assis pour regarder passer le beau monde de Bastia, toilettes très claires, toutes jeunes filles à la poitrine déjà opulente et sans corset, amours de petits enfants très bien habillés.

    Après dîner, nous fûmes au Théâtre, qui est tout un poème : les premières coûtent 1.50 chaque, ce qui n’est pas cher, mais presque personne ; davantage aux places bon marché, pas mal de militaires. Ils estiment n’avoir pas besoin de sortir pour se soulager, et que les corridors sont faits tout exprès pour cela, de sorte que la salle empuante, et de telle façon que même en se bouchant le nez et respirant par la bouche, on ne peut y échapper.

    Deux actes ainsi parfumés et mal joués — que peuvent manger les pauvres cabots ? — nous ont suffi, et à 10 heures, nous étions rentrés.

    Départ lundi à 8 heures pour le tour du Cap Corse. Nous allons déjeuner à Macinaggio, à l’extrémité orientale du Cap. La route suit la mer ; la côte est presque droite ; il y a une succession de petits caps, derrière lesquels se dressent les montagnes du massif central. De temps en temps, un petit cours d’eau et quelques maisons : c’est la « marine » d’une commune, dont les villages sont éparpillés aux flancs des montagnes. Chaque vallée forme comme un éventail dont la tige aboutit à la mer, tandis que la partie dépliée est à l’intérieur, et les montagnes, par contre, étroites au départ à la chaîne centrale, s’élargissent en approchant de la mer.

    Après déjeuner, nous partons par une chaleur assez forte pour passer du versant oriental au versant occidental, en contournant à grande hauteur le nord du Cap. Région presque inhabitée, maquis très maigre. Le temps s’est malheureusement couvert, et du col de la Lena (361 mètres) nous ne voyons que les profondes découpures de la côte occidentale. Les nuages nous cachent le Cinto et ses neiges. Nous descendons en contournant la côte jusqu’à Morsiglia, où nous devons dîner et coucher. Nous faisons un tour dans le village, qui domine la mer de très haut : très différent d‚aspect des villages de l’intérieur de l’île. On ne rencontre pas d’hommes à fainéanter, ni de cochons à vagabonder sur la route ; il ne dégage pas l’odeur de Corte, et les enfants, comme les champs, sont propres et bien tenus. La terre est cultivée tout autour, retenue par des terrasses, jusqu’à la mer.

    Nous nous asseyons au bord de la route, dans l’espérance d’un beau coucher de soleil, mais il se couche dans les nuages, et nous rentrons faire dans cette auberge de peu d’apparence le meilleur dîner de notre voyage : potage, langouste, poissons frits, petits pois au lard, sanglier, raisiné [confiture que l’on fait avec du jus de raisin et d’autres fruits], brocchio aux œufs, sorte de crème renversée, le tout arrosé de vin blanc de l’année, et de vin fin, récolté et soigné par l’aubergiste depuis 17 ans et qui était délicieux.

    L’aubergiste nous servit, la serviette sous le bras, et nous conta des détails sur le pays. La langouste s’y vend maintenant 22 ou 24 sous la livre, alors qu’il y a vingt ans, elle n’en valait que quatre [un sou équivaut à 5 centimes de franc]. Le vin fin qu’il nous sert est le produit des meilleures vignes du pays, avant le phylloxéra. Les grappes, cueillies et triées, étaient mises à sécher au soleil avant d’être pressées, et on avait ainsi du vin naturel ayant jusqu’à 14, 15 et même 18° d‚alcool. Le vin était soutiré tous les ans de grands fûts dans de petits, puis dans des dames-jeannes et n’était bon à mettre en bouteilles qu’à la sixième année.

    On chasse le sanglier toute l’année, et on en tue une soixantaine chaque année. Si un étranger désire chasser, tout le pays s’en met, et il arrive parfois qu’on tue deux ou trois bêtes dans la même battue, comme il arrive que l‚on ne tue rien. Les bêtes ne sont pas vendues, on les partage entre tous les chasseurs.

    La côte est très poissonneuse ; les pêcheurs sont rentrés la nuit dernière avec environ 3000 kilos de poisson, et sont partis avec les mulets chargés pour en vendre dans tous les villages avoisinants.

    Les chèvres sont dans la montagne et ne reviennent pour pâturer dans les maquis communaux que du 23 décembre au 23 mars.

    Chambre très propre, blanchie à la chaux, lits de fer, serviettes-éponges, et, sur la toilette, savon et brosse à dents !!!

    En nous éveillant, nous entendons les oiseaux : ceci est une nouveauté, car il n’y en a presque pas à l’intérieur de la Corse.

    (à suivre…)

  • ancêtres (3)

    Philippe Antoine Grouvelle (1758-1806) fut secrétaire des commandements du Prince de Condé à Chantilly (poste où il succéda à son ami Chamfort), secrétaire du Conseil exécutif provisoire en 1792 (de sorte qu’il eut l’horrible fonction d’aller au Temple annoncer à Louis XVI, le 20 janvier 1793, la sentence de mort), ambassadeur à Copenhague de juillet 1793 à décembre 1799, élu député de la Seine au Corps législatif en 1800, réélu en 1802, membre correspondant de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques). Sa carrière publique s’acheva avec le Consulat, Bonaparte ne l’appréciant pas. Il mourut à Varennes-Jarey dans l’actuel département de l’Essonne, où il habitait (et non pas Varennes en Argonne [Meuse] où fut arrêté Louis XVI, contrairement à ce qu’écrivent nombre de compilateurs ignares, se recopiant les uns les autres, comme l’éditeur Jean de Bonnot). Il est l’auteur ou l’éditeur de plusieurs ouvrages (dont une pièce qui avait été jouée devant Marie-Antoinette et appréciée par elle, Les Prunes), notamment De l’autorité de Montesquieu dans la révolution présente (Paris, 1789), Mémoires historiques sur les Templiers (1806), Mémoires de Louis XIV (1806 ; il est le dernier à avoir eu le manuscrit intégral entre les mains, on ne sait pas ce qu’il est devenu), la première édition en ordre chronologique des Lettres de Mme de Sévigné (11 vol., Paris, 1806).
    De l’autorité de Montesquieu dans la révolution présente fait l’éloge de certains éléments de L’Esprit des lois, et une vive et pertinente critique d’autres aspects. L’auteur admire beaucoup Le Contrat social de Rousseau et les théories fumeuses de celui-ci. Philippe Antoine Grouvelle plaide pour la liberté, l’égalité, la suppression des privilèges, la généralisation de l’instruction, notamment pour les femmes, etc. Mais il entend surtout montrer que la France n’a pas de constitution, et qu’il est nécessaire que les États Généraux lui en donne une. Il ne développe pas son contenu, mais indique qu’elle doit prévoir un Roi et un Corps représentatif (une assemblée) ; que le Roi doit conserver un pouvoir certain, précisant que "l’excessive diminution de l’autorité royale a de grands dangers" (p. 54). Il voit bien que cela ne sera pas facile : « Les États Généraux vont naviguer entre deux écueils, la rigueur inconciliante (sic) des principes, et la molle ou perfide ressource des palliatifs ; la route est périlleuse pour leur inexpérience » (p. 125). Il écrit en note, p. 125, que « L’Histoire réserve à Louis XVI la plus belle place qu’aucun Roi de France ait occupée dans ses fastes », pour avoir rétabli la liberté et l’égalité.

    François Grouvel (1776-1836) serait un cousin éloigné de Philippe Antoine Grouvelle, selon la tradition familiale (qui semble douteuse), mais d’une branche qui conserva l’orthographe ancienne du nom de la famille. Général (de brigade en 1813, de division en 1825 [lieutenant général]), il fut créé baron héréditaire en 1816, puis vicomte héréditaire en 1824. Inspecteur général de la cavalerie puis de la remonte de 1831 à sa retraite en 1836. Grand officier de la Légion d’honneur. Il eut une fille et deux fils, dont François-Félix (1818-1895), ancien élève de l’École polytechnique (promotion 1836), général (de brigade en 1874, de division en 1879), commandeur de la Légion d’honneur.

    Antoine Henri Grouvelle (1843-1917), ancien élève de l’X (promotion 1861), petit-fils de Philippe Antoine, directeur général des manufactures des tabacs, président de la société entomologiste de France. Chevalier de Légion d’honneur. Auteur d’ouvrages scientifiques sur les coléoptères et sur diverses inventions. Il épousa Agnès de Lacerda.

  • Liberté, égalité, fraternité

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    Je commence par une citation de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur d’un gouvernement de gauche, pour que l’on ne pense pas que l’Église veut récupérer la devise de la République. Il déclarait en 1997, à Strasbourg, que « la liberté, inséparable de la responsabilité de la personne, et surtout l’égalité des hommes entre eux, par-delà les différences ethniques, sociales, physiques ou intellectuelles, sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité […], on ne peut qu’admirer l’audace à proprement parler révolutionnaire des Évangiles […]. Quant à la fraternité, elle est une traduction […] de l’agapè du Nouveau Testament ».
    Pour sa part, le pape Jean-Paul II s’était exprimé en des termes semblables dans l’homélie qu’il avait prononcé le 1er juin 1980, au Bourget, homélie au cours de laquelle il avait lancé à la France une apostrophe restée célèbre : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Sur le point qui nous occupe aujourd’hui, il affirme que, « au fond, ce sont là des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme ».
    Est-ce une litote ? On a montré, en tout cas, que « l’histoire du triptyque républicain est celle d’un changement de camp, au sens strict du terme. Il ne s’agit pas d’un héritage tranquillement accepté ou d’une dépendance filialement reconnue, mais de la prise de possession d’une formule qui, par les échos, les connotations, les souvenirs qu’elle réveillait, par sa très forte charge émotionnelle, était une arme dans le combat idéologique du temps, un acte de langage » (Jean-Louis Quantin, « Aux origines religieuses de la devise républicaine. Quelques jalons de Fénelon à Condorcet », Communio 14 (1989), p. 33).
    En tout cas, Léon XIII précisait le sens des termes employés : « Nous parlons donc ici de la liberté des enfants de Dieu au nom de laquelle nous refusons d’obéir à des maîtres iniques qui s’appellent Satan et les mauvaises passions. Nous parlons de la fraternité qui nous rattache à Dieu comme au Créateur et Père de tous les hommes. Nous parlons de l’égalité qui, établie sur les fondements de la justice et de la charité, ne rêve pas de supprimer toute distinction entre les hommes, mais excelle à faire de la variété des conditions et des devoirs de la vie une harmonie admirable et une sorte de merveilleux concert dont profitent les intérêts et la dignité de la vie civile » (lettre encyclique du 20 avril 1884).
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    Qui s’intéresse à ce sujet pourra lire le livre de Michel Borgetto, La devise « Liberté, Égalité, Fraternité », Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », n° 3196.

  • 10. La moralité des actes humains – L’objet moral

    « La moralité des actes humains dépend :
    — de l’objet choisi ;
    — de la fin visée ou de l’intention ;
    — des circonstances de l’action.
    L’objet, l’intention et les circonstances forment les « sources », ou éléments constitutifs, de la moralité des actes humains » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1750).

    L’objet moral
    « La moralité de l’acte humain dépend avant tout et fondamentalement de l’objet raisonnablement choisi par la volonté délibérée ». L’objet moral « est la fin prochaine d’un choix délibéré qui détermine l’acte du vouloir de la personne qui agit » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, n° 78). Pour savoir quel est l’objet qui spécifie moralement un acte, « il convient donc de se situer dans la perspective de la personne qui agit. En effet, l’objet de l’acte du vouloir est un comportement librement choisi. En tant que conforme à l’ordre de la raison, il est cause de la bonté de la volonté […]. Par objet d’un acte moral déterminé, on ne peut donc entendre un processus ou un événement d’ordre seulement physique, à évaluer selon qu’il provoque un état de choses déterminé dans le monde extérieur » (Ibid.). On ne doit pas confondre l’« objet physique » avec l’« objet moral » de l’action (une même action physique peut être l’objet d’actes moraux divers ; par exemple, utiliser un bistouri peut réaliser une opération chirurgicale ou un homicide).
    La valeur morale des actes humains (le fait qu’ils soient bons ou mauvais) dépend avant tout de la conformité de l’objet ou de l’acte voulu avec le bien de la personne, selon le jugement de la droite raison. L’acte humain ne peut être ordonné à la fin ultime que s’il est bon par son objet. « La raison pour laquelle la bonne intention ne suffit pas mais pour laquelle il convient de faire le choix juste des œuvres réside dans le fait que l’acte humain dépend de son objet, c’est-à-dire de la possibilité ou non d’ordonner celui-ci à Dieu, à Celui qui « seul est Bon », et ainsi réalise la perfection de la personne » (Jean-Paul II, Ibid.). Autrement dit, « l’élément primordial et décisif pour le jugement moral est l’objet de l’acte de l’homme, lequel décide si son acte peut être orienté au bien et à la fin ultime qui est Dieu » (Ibid., n° 79).

    (à suivre…)

  • 9. Les formes de conscience

    Si nous revenons à l’existence du péché originel — c’est un passage obligé (voir mes textes du mois de novembre) — nous comprendrons d’emblée que la conscience humaine peut se tromper, que ce jugement moral peut être erroné. Elle « n’est pas un juge infaillible » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, n° 62).
    On distingue la conscience vraie ou droite qui, à partir de principes vrais (la loi morale), émet un jugement véridique sur la licéité ou la non licéité d’un acte particulier ; et la conscience erronée ou fausse, qui émet un jugement faux, en disant qu’est bon ce qui est mauvais et inversement. Cette erreur « peut être le fruit d’une ignorance invincible, c’est-à-dire d’une ignorance dont le sujet n’est pas conscient et dont il ne peut sortir par lui-même » (Ibid.). Il n’y a pas de faute morale. Mais l’erreur peut aussi être due au fait que la personne « se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et lorsque l’habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle » (Ibid.). La conscience erronée de manière coupable n’est pas une excuse au péché et peut même l’aggraver.
    On distingue également la conscience certaine, qui émet son jugement avec la certitude morale de ne pas se tromper ; la conscience probable, lorsqu’elle juge en étant convaincue qu’il existe une certaine probabilité d’erreur, moindre cependant que la probabilité d’être dans le vrai ; la conscience douteuseperplexe quand elle n’ose pas juger, parce qu’elle pense qu’il y a péché aussi bien à réaliser un acte qu’à l’omettre.
    Dans la pratique il ne faut agir qu’avec une conscience vraie et certaine. On ne doit pas agir avec une conscience douteuse, mais il est nécessaire de sortir du doute en étudiant, en demandant, etc. (par exemple, si l’on doute que quelque chose soit un péché ou non, on ne doit pas le réaliser avant d’avoir dissipé le doute). Il va de soi que l’on ne peut jamais agir avec une conscience mauvaise.
    Le jugement de la conscience est donc essentiel. Il porte sur une pensée, une action ou une omission, c’est-à-dire sur un objet, recherché avec une intention donnée par celui qui agit, et dans des circonstances déterminées. Ce sont les trois éléments dont dépend la moralité des actes humains.

    (à suivre…)

  • 8. La conscience

    Ce qui nous intéresse ici, c’est la conscience morale, qui n’est autre qu’« un jugement de la raison par lequel la personne humaine reconnaît la qualité morale d’un acte concret qu’elle va poser, est en train d’exécuter ou a accompli » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1778), « approuvant ceux (les choix concrets) qui sont bons, dénonçant ceux qui sont mauvais » (Ibid., n° 1777).
    Or, « au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « Fais ceci, évite cela. » Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (concile Vatican II, constitution pastorale sur l’Église dans le monde Gaudium et spes, n° 16). Ainsi « c’est par le jugement de sa conscience que l’homme perçoit et reconnaît les prescriptions de la loi divine » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 1778).
    La conscience est une « voix » qui prévient de ce qui est bon et de ce qui est mal en appliquant la loi morale aux actes concrets, et qui pousse à suivre le bien et fait des reproches (donne des « remords ») si on suit le mal. Elle « est un jugement qui applique à une situation concrète la conviction rationnelle que l’on doit aimer, faire le bien et éviter le mal. Ce premier principe de la raison pratique appartient à la loi naturelle, et il en constitue même le fondement. […] Tandis que la loi naturelle met en lumière les exigences objectives et universelles du bien moral, la conscience applique la loi au cas particulier » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, n° 59).
    Tout homme est tenu de suivre sa conscience, quand bien même il se trouverait dans l’erreur. Cette obligation naît du caractère obligatoire de la loi morale. « C’est l’obligation de faire ce que l’homme, par un acte de sa conscience, connaît comme un bien qui lui est désigné ici et maintenant » (Ibid.). Par conséquent : a) il ne peut y avoir d’opposition objective entre l’obligation de suivre le jugement de la conscience et celle de suivre la loi morale, car « le jugement de la conscience ne définit pas la loi, mais il atteste l’autorité de la loi naturelle » (Ibid., n° 60) ; b) l’homme « ne doit donc pas être contraint d’agir contre sa conscience. Mais il ne doit pas être empêché non plus d’agir selon sa conscience, surtout en matière religieuse » (concile Vatican II, déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ, n° 3), pourvu qu’il respecte l’ordre et la moralité publiques (Ibid., n° 7). L’autorité, quelle qu’elle soit a le devoir de respecter la liberté des consciences de ses sujets ; c) chacun est responsable des actes qu’il réalise ; cette responsabilité constitue un appel à chercher la vérité morale et à se laisser guider par elle dans l’action : « Le degré de maturité et de responsabilité de ces jugements [de la conscience] — et, en définitive de l’homme, qui en est le sujet — se mesure non par la libération de la conscience par rapport à la vérité objective, en vue d’une prétendue autonomie des décisions personnelles, mais, au contraire, par une pressante recherche de la vérité et, dans l’action, par la remise de soi à la conduite de cette conscience » (Jean-Paul II, encyclique Veritatis splendor, n° 61).

    (à suivre…)