Je commence par une citation de Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur d’un gouvernement de gauche, pour que l’on ne pense pas que l’Église veut récupérer la devise de la République. Il déclarait en 1997, à Strasbourg, que « la liberté, inséparable de la responsabilité de la personne, et surtout l’égalité des hommes entre eux, par-delà les différences ethniques, sociales, physiques ou intellectuelles, sont largement des inventions chrétiennes. S’agissant de l’égalité […], on ne peut qu’admirer l’audace à proprement parler révolutionnaire des Évangiles […]. Quant à la fraternité, elle est une traduction […] de l’agapè du Nouveau Testament ».
Pour sa part, le pape Jean-Paul II s’était exprimé en des termes semblables dans l’homélie qu’il avait prononcé le 1er juin 1980, au Bourget, homélie au cours de laquelle il avait lancé à la France une apostrophe restée célèbre : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Sur le point qui nous occupe aujourd’hui, il affirme que, « au fond, ce sont là des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme ».
Est-ce une litote ? On a montré, en tout cas, que « l’histoire du triptyque républicain est celle d’un changement de camp, au sens strict du terme. Il ne s’agit pas d’un héritage tranquillement accepté ou d’une dépendance filialement reconnue, mais de la prise de possession d’une formule qui, par les échos, les connotations, les souvenirs qu’elle réveillait, par sa très forte charge émotionnelle, était une arme dans le combat idéologique du temps, un acte de langage » (Jean-Louis Quantin, « Aux origines religieuses de la devise républicaine. Quelques jalons de Fénelon à Condorcet », Communio 14 (1989), p. 33).
En tout cas, Léon XIII précisait le sens des termes employés : « Nous parlons donc ici de la liberté des enfants de Dieu au nom de laquelle nous refusons d’obéir à des maîtres iniques qui s’appellent Satan et les mauvaises passions. Nous parlons de la fraternité qui nous rattache à Dieu comme au Créateur et Père de tous les hommes. Nous parlons de l’égalité qui, établie sur les fondements de la justice et de la charité, ne rêve pas de supprimer toute distinction entre les hommes, mais excelle à faire de la variété des conditions et des devoirs de la vie une harmonie admirable et une sorte de merveilleux concert dont profitent les intérêts et la dignité de la vie civile » (lettre encyclique du 20 avril 1884).
Qui s’intéresse à ce sujet pourra lire le livre de Michel Borgetto, La devise « Liberté, Égalité, Fraternité », Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », n° 3196.