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Théologie - Page 17

  • Jésus dans l'enseignement de st Josémaria

    LA PRÉSENCE DU CHRIST DANS LE MESSAGE DE
    SAINT JOSÉMARIA ESCRIVA,
    FONDATEUR DE L’OPUS DEI


    Toute la pensée du fondateur de l’Opus Dei étant christocentrique, il est particulièrement ardu de résumer en quelques pages son enseignement sur le Christ. De fait, « sa personnalité humaine et sacerdotale, son activité ecclésiale, son action de fondation et sa pensée se sont forgées depuis sa jeunesse dans la profondeur de l’identification surnaturelle avec le Fils de Dieu sur la Croix et dans sa glorification, dans son existence quotidienne et dans l’événement pascal, dans son mystère sacerdotal de donation et de service de l’Église et de tous les hommes » (A. ARANDA, « Il cristiano « alter Christus, ipse Christus », Santità e mondo. Atti del Convegno teologico di studio sugli insegnamenti del beato Josemaría Escrivá (Roma, 12-14 ottobre 1993), Cité du Vatican, 1994, p. 103). C’est pourquoi nous ne pourrons brosser ici que quelques coups de pinceau, en espérant qu’ils suffiront quand même à permettre d’apercevoir ou d’entrapercevoir la profondeur de la pensée de quelqu’un qui se sentait « fasciné par le Christ », comme le pape Jean Paul II l’a relevé dans l’homélie de la messe de béatification, place Saint-Pierre, le 17 mai 1992. Une fascination qui amenait le bienheureux à insérer fréquemment dans ses écrits les initiales « RChV », pour regnare Christum volumus, « nous voulons que le Christ règne », en nous et dans le monde. Nous ferons une large place aux citations textuelles des écrits du bienheureux Josémaria, car elles sont plus parlantes que toute glose. Ces textes s’adressent au chrétien qui cherche à être cohérent avec sa foi. Ils tracent un itinéraire de vie, qui n’est nullement hors de portée, mais qui ne saurait être parcouru en un clin d’œil. C’est l’affaire de toute notre vie. Par conséquent, nous sommes invités à regarder le Christ comme un miroir, qui nous montre ce qu’il attend que nous devenions : sa « reproduction » la plus fidèle possible, car, ne l’oublions pas, l’homme a été créé à l’image de Dieu (Genèse 1, 27).

    Le chrétien est appelé à être alter Christus, ipse Christus, « un autre Christ, le Christ lui-même ». Moyennant le baptême, le fidèle est incorporé au Christ dans l’Esprit Saint ; il participe au don et à la mission de l’unique Christ Seigneur ; il est revêtu du sacerdoce commun de tous les fidèles qui, comme le concile Vatican II l’a souligné, se distingue d’avec le sacerdoce ministériel d’une « différence non seulement de degré mais essentielle » (Lumen gentium, n° 10). Cette identification progressive, fruit de la grâce et de la réponse généreuse dans la lutte ascétique quotidienne, conduit à ce que le bienheureux Josémaria a appelé la « divinisation ». L’on sait que les orientaux parlent de préférence de « déification ». Mais le concept est le même. Il s’agit de suivre saint Paul, qui affirme : « Je suis crucifié avec le Christ ; ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Galates 2, 19-20). L’initiative part de Dieu : « C’est notre Seigneur Jésus-Christ qui le veut : il faut le suivre de près. Il n’y a pas d’autre chemin. Telle est l’œuvre du Saint-Esprit dans chaque âme et dans la tienne : sois docile, n’oppose pas d’obstacles à Dieu, jusqu’à ce qu’il fasse un crucifix de ta pauvre chair » (Sillon, n° 978). Parvenir à être un crucifix demande de combattre le péché et de rejeter avec énergie et décision tout ce qui pourrait nous écarter de Dieu, et du chemin de notre vie, dont l’aboutissement doit être la sainteté. C’est une lutte sans cesse recommencée, et toujours menée avec l’aide de la grâce de Dieu, qui ne saurait jamais manquer. Nous disposons des mêmes moyens spirituels que les premiers chrétiens, et Jésus, « premier-né parmi beaucoup de frères » (Romains 8, 29), intercède constamment auprès du Père. Mais nous devons y mettre du nôtre. « Mon enfant : où est le Christ que les âmes cherchent en toi ? Dans ton orgueil ? Dans tes désirs de t’imposer aux autres ? Dans ces mesquineries de caractère que tu ne veux pas vaincre en toi ? Dans cet entêtement… ? Le Christ se trouve-t-il là ? — Non et non ! — D’accord : il faut avoir une personnalité, mais la tienne doit tendre à s’identifier à celle du Christ » (Forge, n° 468). Le chrétien doit donc crucifier ses passions s’il veut parcourir l’itinéraire de la sainteté, qui se résume ainsi : « Cherche le Christ, trouve le Christ, aime le Christ » (Chemin, n° 382), il est indispensable qu’il tâche de revivre le Sacrifice du Christ, de transformer sa journée en un sacrifice permanent, uni à celui du Christ sur la Croix et à l’autel, « en une messe qui dure vingt-quatre heures », de faire de la sainte messe « le centre et la racine de sa vie intérieure », expression qui se retrouvera dans l’enseignement du concile Vatican II. « Pour accompagner le Christ dans sa Gloire, lors de sa victoire définitive, il est nécessaire de participer à son holocauste et de nous identifier à lui, lui qui est mort sur le Calvaire » (Forge, n° 1022).

    (à suivre…)


    Dominique LE TOURNEAU

  • Un féminisme chrétien

    En cette Journée de la femme, je mentionne mon article « un féminisme chrétien » paru dans une revue qui n’existe plus, Cedrus Libani, 55, Automne 1997, p. 4-5 et publié récemment en portugais sous le titre « Um feminismo cristão », Celebração Liturgica. Revista de Liturgia e Pastoral 35 (2003-2004) n° 3, p. 574-578. Il figure aussi sur mon site. J’en cite juste un bref extrait : « C’est vers une femme que l’Église se tourne continuellement. Vers la Femme, par excellence, la seule créature humaine à n’avoir pas été marquée par le péché originel, en raison du choix que Dieu avait fait d’Elle pour être la Mère de son Fils, notre Rédempteur. La Femme, sans laquelle les chrétiens ne seraient rien, car elle nous a vraiment engendrés à la vie surnaturelle et aussi parce que Dieu l’a instituée médiatrice de toutes les grâces : aucun secours divin, aucune aide spirituelle ne nous est accordé indépendamment d’Elle. Aucun féminisme ne va aussi loi. Aucun féminisme ne peut même envisager un tel radicalisme. Ce qui fait que la religion catholique est l’archétype d’un sain féminisme, dépourvu de toute revendication étriquée et tout entier orienté vers la finalité ultime de l’homme, qui consiste à reconnaître et aimer Dieu, à le servir et le glorifier pour les siècles sans fin. »

  • Dieu est bon (1)

    La Bonté est un des attributs de Dieu, c’est-à-dire un des aspects de la nature, ou perfection de Dieu.
    « Yahvé est bon pour qui espère en lui » (Lamentations 3, 25). « Yahvé est bon ; il est un refuge au jour de la détresse » (Nahum 1, 7). Seigneur, « tu es bon et bienfaisant : enseigne-moi tes prescriptions » (Psaume 119 [118], 68). « Célébrez Yahvé, car il est bon, car sa bienveillance est éternelle » (Psaume 106 [105], 1). Le Nouveau Testament n’est pas en reste pour proclamer la bonté de Dieu. Au jeune homme riche qui lui demande : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en partage », Jésus répond : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul » (Marc 10, 17-18 ; Luc 18, 19). Et « pourquoi Dieu seul est bon ? Parce qu’il est amour. Le Christ donne cette réponse par les paroles de l’Évangile et, par-dessus tout, par le témoignage de sa vie et de sa mort : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16). Dieu est bon précisément parce qu’il « est amour » (1 Jean 4, 8.16) » (Jean-Paul II, lettre Dilecti amici à tous les jeunes du monde, 31 mars 1985, n° 4). « Ce qui est bon est divin, et ce qui est divin est bon, c’est pourquoi il est dit : Lorsque tu ouvres la main, Seigneur, tous sont comblés de ta bonté. C’est en effet par la bonté de Dieu que nous sont accordés tous les biens qui ne comportent aucun mélange de mal » (saint Ambroise, Traité de fuga sæculi).
    « Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres » (Psaume 144 [143], 8-9), et au premier chef pour cette œuvre réussie qu’est l’homme et la femme. Quand il regarda ce qui était sorti « de ses mains », il vit que « cela était très bon » (Genèse 1, 31). C’est pourquoi Yahvé affirme : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais que l’impie se détourne de sa voie et qu’il vive » (Ézéchiel 33, 11).
    Au vu de l’expérience quotidienne, le psalmiste invite le monde entier manifester sa reconnaissance pour la bonté de Dieu, qui se manifeste dans le déroulement de l’histoire et, avec plus d’éclat peut-être, à l’heure des tribulations : « Nations, louez toutes Yahvé ; peuples, célébrez-le tous ! Car sa bonté l’a emporté pour nous, et la fidélité de Yahvé subsiste à jamais » (Psaume 117 [116], 1-2).
    Dieu ne veille pas seulement sur son peuple : il s’occupe aussi de chacun de ses enfants : « Yahvé garde les simples : j’étais faible et il m’a sauvé. Retourne, mon âme, en ton repos, car Yahvé t’a fait du bien » (Ps 116 [114], 6-7). Et ce, non seulement en une occasion particulière exceptionnellement, mais de façon habituelle. Savoir que dieu est notre Père, un Père qui est la Bonté même, nous-même une grande paix et une grande assurance : « Moi, j’ai confiance en ta bonté ; que mon cœur exulte à cause de ton salut ; que je chante Yahvé,lui qui m’a fait du bien » (Ps 13 [12], 6).
    L’homme se rend compte de cette bonté lorsqu’il se trouve dans la proximité de Dieu, quand il cherche à vivre en sa présence. C’est la réaction spontanée et immédiate de Pierre sur le mont Thabor, lorsque Jésus-Christ se transfigure sous ses yeux et apparaît dans sa gloire. Sans trop réfléchir à ce qu’il dit, il laisse échapper cette exclamation : « Seigneur, il nous est bon d’être ici » (Matthieu 17, 4). Le psalmiste a fait la même expérience : « Pour moi, il est bon d’être proche de Dieu » (Psaume 73 [72], 28).
    L’homme découvre la bonté de Dieu et la joie de sa compagnie. Dieu est bon par nature, par essence. Il est la Bonté en personne, car, en Dieu, tout s’identifie à l’Être. Tout ce qu’il fait est parfait. C’est ce que rapporte le récit de la création dans ses diverses étapes ponctuées du constat divin : « Dieu vit que cela était bon » (Genèse 1, 10.12.18, etc.), et même « très bon » (Genèse 1, 31) après la création de l’homme. Pareillement, les foules qui étaient le témoin de l’enseignement du Christ et de ses miracles, « prises d’une admiration sans borne », disaient : « Il a tout fait à la perfection » (Marc 7, 37).

    (à suivre…)

  • Le mal est vaincu

    « Le Saint-Père [Jean-Paul II], à travers ses paroles et ses œuvres, nous a donné de grandes choses ; mais la leçon qu'il nous a donnée de la chaire de la souffrance et du silence est tout aussi importante. Dans son dernier livre Mémoire et identité (Rizzoli 2005), il nous a laissé une interprétation de la souffrance qui n'est pas une théorie théologique ou philosophique, mais un fruit mûri au cours de son chemin personnel de souffrance, qu'il parcourut avec le soutien de la foi dans le Seigneur crucifié. Cette interprétation, qu'il avait élaborée dans la foi et qui donnait un sens à sa souffrance vécue en communion avec celle du Seigneur, parlait à travers sa douleur muette en la transformant en un grand message. Que ce soit au début ou à la fin du livre susmentionné, le Pape se montra profondément touché par le spectacle du pouvoir du mal dont, au cours du siècle qui vient de se terminer, nous avons pu faire l'expérience de manière dramatique. Il dit textuellement : « Cela n'a pas été un mal à petite échelle. Cela a été un mal aux proportions gigantesques, un mal qui s'est servi des structures de l'État pour accomplir son œuvre néfaste, un mal érigé en système » (p. 198).
    Le mal est-il invincible ? Est-il la véritable puissance ultime de l'histoire? À cause de l'expérience du mal, la question de la rédemption était devenue pour le Pape Karol Wojtyla la question essentielle et centrale de sa vie et de sa pensée comme chrétien. Existe-t-il une limite contre laquelle se brise la puissance du mal ? Oui, elle existe, répond le Pape dans son livre, ainsi que dans son Encyclique sur la rédemption. Le pouvoir qui pose une limite au mal est la miséricorde divine. À la violence, à l'ostentation du mal s'oppose dans l'histoire — comme « le totalement autre » de Dieu, comme la puissance propre à Dieu — la miséricorde divine. L'agneau est plus fort que le dragon, pourrions-nous dire avec l'Apocalypse.
    À la fin du livre, dans une vision rétrospective sur l'attentat du 13 mai 1981 et également sur la base de son chemin avec Dieu et avec le monde, Jean-Paul II a davantage approfondi cette réponse. La limite du pouvoir du mal, la puissance qui, en définitive, le vainc est, nous dit-il, la souffrance de Dieu, la souffrance du Fils de Dieu sur la Croix : « La souffrance de Dieu crucifié n'est pas seulement une forme de souffrance à côté des autres… Le Christ, en souffrant pour nous tous, a conféré un nouveau sens à la souffrance, il l'a introduite dans une nouvelle dimension, dans un nouvel ordre : celui de l'amour… La passion du Christ sur la Croix a donné un sens radicalement nouveau à la souffrance, l'a transformée de l'intérieur… C'est la souffrance qui brûle et consume le mal avec la flamme de l'amour… Chaque souffrance humaine, chaque douleur, chaque maladie contient une promesse de salut… Le mal… existe également dans le monde pour réveiller en nous l'amour, qui est don de soi… à celui qui est touché par la souffrance… Le Christ est le Rédempteur du monde : « Dans ses blessures nous trouvons la guérison » (Isaïe 53, 5) » (p. 198 sq).
    Tout cela n'est pas simplement une théologie érudite, mais l'expression d'une foi vécue et mûrie dans la souffrance. Assurément, nous devons faire tout notre possible pour atténuer la souffrance et empêcher l'injustice qui provoque la souffrance des innocents. Toutefois, nous devons également faire tout notre possible pour que les hommes puissent découvrir le sens de la souffrance, pour être ainsi en mesure d'accepter leur propre souffrance et l'unir à la souffrance du Christ. Ainsi, celle-ci se fond avec l'amour rédempteur et devient, en conséquence, une force contre le mal dans le monde. La réponse qui a été donnée dans le monde entier à la mort du Pape a été une manifestation bouleversante de reconnaissance pour le fait que, dans son ministère, il s'est totalement offert à Dieu pour le monde ; un remerciement pour le fait qu'il nous a enseigné à nouveau, dans un monde rempli de haine et de violence, à aimer et à souffrir au service des autres ; il nous a montré, pour ainsi dire, le Rédempteur vivant, la rédemption, et il nous a donné la certitude que, de fait, le mal n'a pas le dernier mot dans le monde.»

    Benoît XVI, Discours aux membres de la curie romaine, 22 décembre 2005.

  • Dieu est bon (2)

    Même dans un moment aussi dramatique que la crucifixion, la bonté de Dieu éclate au grand jour. Au lieu de paroles de haine ou de vengeance, Jésus dit à son Père : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Cela suffit à faire réagir un malfaiteur qui se trouvait crucifié avec lui. Il lui adresse une demande : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne. Et il lui dit : « En vérité je te le dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23, 42-43). Ô paradoxe de l’amour de Dieu, le premier racheté à entrer au paradis, sitôt que Jésus a rendu son esprit est un fieffé brigand qui a mérité d’être condamné à mort par un tribunal humain…
    Cette bonté de Dieu s’exprime en tout premier lieu par la création. Puis il se révèle aux hommes, en parlant leur langage. Mais elle se surpasse vraiment quand elle en arrive à la « folie de la Croix » (voir 1 Corinthiens 1, 23). C’est le comble de l’Amour. « L’abîme de malice que le péché comporte a été franchi par la Charité infinie. Dieu n’abandonne pas les hommes. Les desseins divins prévoient que, pour réparer nos fautes, pour rétablir l’unité perdue, les sacrifices de l’Ancienne Loi ne suffisaient pas : il fallait le don de soi d’un homme qui fût Dieu » (saint Josémaria, Quand le christ passe, n° 95) : c’est le Fils de Dieu, Dieu lui-même, la seconde Personne de la Très Sainte Trinité, qui s’incarne, c’est-à-dire qui prend chair, un corps semblablement nôtre en tout, hormis le péché (voir Hébreux 4, 14).
    Le Christ est envoyé aux hommes, lui qui « au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. […] Il est venu chez les siens, mains-libres ne l’ont pas reçu. Mais à ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean 1, 1.11-12).
    Dans ces conditions, comment douter de cette bonté, si ce n’est par haine de Dieu, haine qui « vient de l’orgueil. Elle s’oppose à l’amour de Dieu dont elle nie la bonté et qu’elle prétend maudire comme celui qui prohibe les péchés et qui inflige les peines » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 2094).
    « Puisque le seigneur est bon, et surtout envers ceux qui espèrent en lui, attachons-nous à lui, soyons avec lui de toute notre âme, de tout notre cœur, de toutes nos forces pour et redans sa lumière, pour contempler sa gloire et pour posséder la grâce du bonheur céleste. Tendons nos esprits versement, soyons en lui, vivons en lui, attachons-nous à lui, à ce bien qui dépasse toute pensée et toute réflexion, qui jouit d’une paix et d’une tranquillité perpétuelles ; une paix qui surpasse toute pensée et «tout sentiment » (saint Ambroise, Traité de fuga sæculi).
    Mais l’homme fait cependant l’expérience du mal…

  • Dieu est Père

    Dieu est notre père, un Père qui nous aime plus que tous les pères et toutes les mères de la terre réunis, faisait remarquer saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei. La claire conscience d’être enfant de Dieu donne un sens vigoureusement optimiste et une grande paix à notre existence. En toutes circonstances, qu’elles nous semblent favorables ou adverses, faciles ou difficiles, plaisantes ou désagréables, pensons : « Dieu est mon Père et un Père tout-puissant et infini. Il m’aime à la folie. Il veut donc constamment mon bien véritable. Il sait mieux que moi ce qui me convient à chaque instant. Tout ce qui m’arrive est donc ce que Dieu a choisi ou permis pour moi afin que je sois saint et heureux. Pour parler selon notre façon humaine de nous exprimer, il n’a pas pu trouver mieux pour moi. Il n’existe donc pour moi de meilleure façon de me sanctifier que d’aimer cette sainte volonté de Dieu et de m’efforcer d’y adhérer, avec l’aide de la grâce divine. »
    Telle est la réalité la plus importante concernant notre vie. Si nous l’envisageons sous l’angle des rapports entre un père et son enfant, tout s’insère dans les plans de Dieu, qui sont des plans de salut. « Les projets que j’ai projetés pour vous sont des projets de bonheur et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance » (Jérémie 29, 11). C’est l’attitude permanente de Dieu, sur laquelle il ne peut revenir.
    Il a un faible pour l’homme qu’il a créé, mais qu’il sait fragile. Dieu nous a créés par pure bonté, afin que nous puissions participer de son bonheur. Et il semble trouver lui-même sa joie à nous fréquenter, bien que nous soyons de pauvres pécheurs. Je trouve « mes délices parmi les enfants des hommes » (Proverbes 8, 31), dit le Dieu tout-puissant. C’est surprenant, mais c’est une surprise fort agréable pour nous.
    À nous de trouver aussi notre bonheur et notre joie d’être avec le Seigneur. Allons le chercher là où il est : dans la Parole, le Nouveau Testament notamment, dans l’Eucharistie, sacrement de la présence réelle de Jésus-Christ parmi les siens, dans les autres sacrements, dans les événements qu’il dirige par sa providence, dans les autres pour lesquels le Christ a aussi versé son Sang sur la Croix.
    « Appuie-toi sur la filiation divine. Dieu est un Père — ton Père ! — plein de tendresse, plein d'un amour infini.
    — Appelle-le souvent du nom de Père et dis-lui, seul à seul, que tu l'aimes très fort ! Que tu te sens tout fier et fort d'être son enfant » (saint Josémaria, Forge, n° 331).

  • Liberté, liberté chérie… (1)

    « LIBERTÉ, LIBERTÉ CHÉRIE... » MAIS QUELLE LIBERTÉ ?

    La liberté n'est pas un droit, mais un devoir (Dostoïevski)

    Propos liminaire

    Alors qu'il est plus que jamais question de liberté — de liberté, d'égalité et de fraternité —, il n'est pas inopportun de faire remarquer que, pas plus que les autres, la Révolution française n'a le monopole de la liberté, mieux encore qu'elle ne l'a pas inventée.
    L'on pourrait même affirmer que la liberté exaltée par les apôtres des années 1789 et suivantes et exportée en Europe et dans le monde, n'a été gagnée qu'à coup de guillotine et à la force des baïonnettes. Elle a donc été chèrement acquise. Et le prix payé permet de s'interroger sur son authenticité. Qu'est-ce qu'une révolution qui dévore ses propres enfants, qui les amène à s'entre-tuer ? N'y aurait-il pas une liberté qui pourrait être vécue pacifiquement par tous et assurer tout uniment le progrès du bien des individus et de celui de la société, sans antagonismes, dans un concert désirable?
    N'y aurait-il pas une autre révolution ? Une autre forme de révolution ne serait-elle pas pensable ?
    « Les sectaires vocifèrent contre ce qu'ils appellent « notre fanatisme », parce que les siècles passent et la Foi catholique demeure immuable. En revanche, parce qu'il n'a aucun rapport avec la vérité, le fanatisme des sectaires change à chaque époque de costume ; il dresse contre la Sainte Église l'épouvantail de simples mots, que leurs actes ont vidé de leur sens : la « liberté », qu'ils enchaînent ; le « progrès », qui ramène à la forêt vierge ; la « science », qui dissimule l'ignorance... Toujours un pavillon qui cache une vieille marchandise avariée » (saint Josémaria, (Sillon, n° 933).
    Puisque « la véritable liberté est dans le ciel où personne n'est lié par les chaînes du péché, chaînes qui sont les seules véritables » (st Thomas d’Aquin, De Beatitudine, c. 4, 3), c'est donc de Dieu qu'elle doit venir, c'est donc en concorde avec son auteur qu'elle est tenue d'agir. D'où la révolution chrétienne, qui rehausse la dignité de l'homme, en fait un fils de Dieu, définitivement.
    Dans notre réflexion courante, la liberté se présente souvent comme la valeur qui assoit le critère de vérité, dont la réalisation pratique forme le sens de l'existence humaine. Or l'homme est dans l'erreur quand il se laisse accroire que la liberté est elle-même sa propre fin et qu'il est libre lorsqu'il s'en sert « comme ça lui chante ». « La liberté, au contraire, est un grand don seulement quand nous savons en user avec sagesse pour tout ce qui est vraiment bien. Le Christ nous enseigne que le meilleur usage de la liberté, qui se réalise dans le don, est le service. C'est par une telle « liberté que le Christ nous a rendus libres » (Galates 5, 1) et qu'il nous libère toujours » (Jean-Paul II, encyclique Redemptor hominis, n° 21). La liberté est une propriété de la volonté par laquelle l'homme s'autodétermine dans ses actes en vue de sa bonne fin (cf. st Thomas d’Aquin, Summa Theologiæ I-II, q. 89, a. 6).

    (à suivre…)

  • Liberté, liberté chérie… (3)

    Liberté et union à Dieu

    Pourquoi le fondateur de l'Opus Dei n'emboîte-t-il pas le pas aux champions de la philosophie réflexive évoquée plus haut ? Pour une raison bien simple : il n'éprouve jamais la solitude. Quand il se regarde, il se voit en Dieu et voit Dieu en lui, devenu le temple de l'inhabitation de la Très Sainte Trinité : « Seul ! - Tu n'es pas seul. De loin, nous t'accompagnons. - Et puis..., le Saint-Esprit qui habite dans ton âme en état de grâce - Dieu avec toi - donne un ton surnaturel à toutes tes pensées, à tous tes désirs et à toutes tes œuvres » (st Josémaria, Chemin, n° 82). Mais du fait qu'elle exige une adhésion sans complexe ni problématique au champ d'action propre à l'être rationnel; du fait qu'elle implique une liberté d'esprit et de mouvement que l'on chercherait en vain chez qui n'a pas l'évidence immédiate de la réalité du monde et se verrouille dans des questionnements qui regimbent à l'idée d'un ordre de l'univers à la fois objet de connaissance et norme morale d'action.
    « S'il nous arrivait un jour de penser que le bien que nous faisons est notre œuvre, l'orgueil reviendrait en force, pire encore, le sel perdrait sa saveur, le levain pourrirait et la lumière deviendrait ténèbres » (saint Josémaria,

  • Liberté,liberté chérie… (2)

    [Je disais que la liberté est une propriété de la volonté]

    Or la volonté peut avoir pour objet, d'une part la fin et, d'autre part, ce qui se rapporte à cette fin. Dans le premier cas, elle se porte vers la fin de façon absolue ; elle est qualifiée de voluntas ut nature, ou tendance naturelle vers le bien en général. Dans le second cas, elle se porte vers l'objet qui a rapport à sa fin parce qu'elle le compare à cette fin et qu'elle trouve en lui de la bonté ; c'est la voluntas ut ratio qui peut adhérer ou non au bien qui se présente ainsi à elle (cf. St Thomas d’Aquin, Ibid. III, q. 18, a. 3). Précisons, pour éviter toute ambiguïté, qu'il s'agit en tout état de cause de deux niveaux des actes de la même et unique faculté volitive qu'est la volonté.
    Autrement dit, lorsque nous envisageons la liberté en tant que don, comme nous venons de le faire, nous nous référons à la liberté ontologique de l'homme, c'est-à-dire à celle qui correspond à la voluntas ut nature.
    Que l'homme soit créé en lui-même et en tous ses instants, puisque la création enveloppe le temps avec tout ce qu'il renferme, voilà qui n'enlève rien à la liberté, ne l'amoindrit nullement. « Cela constitue, au contraire, la liberté, en leur fournissant, grâce au Dieu créateur, sa raison totale » (A.-D. Sertillanges, Dieu gouverne, Paris, 1942, p. 68).
    Comme Bergson l'avait bien compris, après avoir essayé de soustraire quelque chose à la causalité et à la connaissance de Dieu, afin de « prendre la liberté au sérieux », si notre libre-arbitre détenait en soi le pouvoir de constituer un monde de relations, l'ordre du monde ne dépendrait alors plus du premier Principe et Dieu cesserait d'être Dieu (cf. A.-D. Sertillanges, L'idée de création et ses retentissements en philosophie, Paris, 1945, p. 183-184).
    L'homme n'est vraiment lui-même que dans la liberté des enfants de Dieu. Il serait désolant de voir les chrétiens réduire leur message à une libération temporelle qui restera toujours limitée, car il en résulterait incontinent une captivité spirituelle bien plus profonde que l'asservissement matériel. La liberté, que les techniques et les hommes politiques proposent, peut certes reculer les limites de l'existence biologique, mais elle laisse l'homme dans cette condition biologique d'une vie mortelle. Et cette immortalisation d'une vie mortelle qu'elle tente de réaliser — avec une acuité inégalée jusqu'ici — est pire que la mort. Car c'est sur un autre plan d'existence que commence seulement la liberté.
    Au plan des rapports d'un fils avec son père, des domestici Dei (Éphésiens 2, 19), de ceux qui appartiennent par adoption à la famille divine. Saint Paul a qualifié la liberté dont on s'y régale de parrèsia, de franc-parler (Cf. J. Ratzinger, « Loi de l'Église et liberté du chrétien », Studia Moralia 22 (1984), p. 182-186). Ce mot désignait chez les Grecs la condition du citoyen qui peut s'exprimer librement à l'assemblée d'égal à égal avec les autres, non dans l'attitude craintive d'un serviteur envers son maître (cf. J. Daniélou, Sainteté et action temporelle, Tournai, 1955, p. 50-52).
    La liberté constitue ainsi pour l'homme le chemin pour atteindre le bien véritable, objectif, de façon responsable. Jean-Paul II rappelle que la permissivité renverse cette saine vision et qu'elle fait quêter la liberté pour elle-même, comme un absolu. C'est pourquoi il est urgent de nos jours « d'apprendre aux nouvelles générations la beauté et les exigences de la liberté et de la responsabilité », et il faut « initier » (Jean-Paul II, Discours aux évêques français de la Région de l'Est en visite « ad limina », 1er avril 1982, n° 4). C'est ce que nous ambitionnons par les quelques pages qui suivent, en nous appliquant à réfléchir sur le sens chrétien de la liberté. Nous nous fonderons pour ce faire principalement sur les écrits publiés de saint Josémaria, fondateur de l’Opus Dei.

    (à suivre…)

  • Liberté, liberté chérie… (fin)

    Liberté et unité de vie

    L'homme libre ne se laisse pas détourner de la finalité essentielle de sa nature. Il intègre chacune des composantes de son être dans le plan divin et collabore ainsi de toutes ses forces à co-racheter avec le Christ. Parfaitement conscient de sa vocation à la plénitude de la vie chrétienne, il discerne à quel point sa vocation humaine et sa vocation surnaturelle constituent un tout qu'il est convié à couler dans une « unité de vie » (saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 165) compacte. Il faut « aimer le monde passionnément », comme l'indique le titre d'une homélie du fondateur de l’Opus Dei (cf. Entretiens avec Mgr Escriva, n° 111-123), parce que « votre vocation humaine est une partie, et une partie importante, de votre vocation divine » (saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 46). L'on infère de cette puissante assertion que « notre époque a besoin qu'on restitue à la matière et aux situations qui semblent les plus banales, leur sens noble et originel, qu'on les mette au service du Royaume de Dieu, qu'on les spiritualise, en en faisant le moyen et l'occasion de notre rencontre continuelle avec Jésus-Christ » (Ibid., n° 114).
    La vie courante est donc le théâtre où l'homme conquiert sa liberté et où il la met en acte, c'est-à-dire où sa volonté acquiert un habitus, ou qualité stable par laquelle l'être se perfectionne. L'homme s'attache et se livre à Dieu dans un épanouissement sans cesse grandissant qui lui vient de l'adéquation à la loi morale par le truchement de la réponse à la grâce. « La liberté et le don de soi ne se contredisent pas ; ils se soutiennent mutuellement. On ne donne sa liberté que par amour ; je ne conçois pas d'autre type de détachement » (saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 31).
    C'est ainsi que l'homme vit le plus intensément, s'auto-réalise au maximum, transforme avec vivacité sa vocation humaine — familiale, professionnelle, scientifique, politique, culturelle, etc. — en une authentique vocation divine. S'ouvrent alors devant lui « les chemins divins de la terre » (Ibid., n° 314). Il y déchiffre que Dieu s'intéresse à ce qui constitue « son monde », avec ses projets, avec son amour, avec son travail (cf. D. Le Tourneau, « Le travail comme caractéristique de la sécularité des laïcs. Pistes pour une réflexion », Studium Legionensis [1988]). Un rapport simple, filial et confiant se noue avec l'Absolu, empreint de cette liberté dont les enfants font preuve à l'égard de leurs parents. L'exécution fidèle de sa vocation dans les moindres incidences de son existence lui font savourer le gaudium cum pace (cf. saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 9), la paix et la joie qui l'acheminent à la volonté de ne pas dévier du chemin de Vie : « Nous nous savons libres; nous élevant comme dans un chant d'amour - épithalame d'une âme ardente - qui nous pousse à désirer ne pas nous écarter de Dieu » (saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 297). Cette ambition de la sainteté, de la « bonne divinisation » (saint Josémaria, Quand le Christ passe, n° 98) doit s'affirmer et s'affermir tout au long de la vie, dans un crescendo irrésistible d'amour de Dieu, en commençant et en recommençant sans cesse : « Afin de persévérer à la suite de Jésus, il faut une liberté continuelle, un vouloir continuel, un exercice continuel de sa propre liberté » (saint Josémaria, Forge, n° 819) ; elle fait brûler d'une impatience volcanique de contempler Dieu face à face. Vultum tuum, Domine, requiram ! (Psaume 27, 8), Seigneur, je cherche ton visage, répétait Mgr Escriva sur le tard de sa vie (cf. F. Gondrand, Au pas de Dieu. Josémaria Escriva de Balaguer fondateur de l'Opus Dei, Paris, 1982, p. 312).
    « Je me plais à parler de l'aventure de la liberté, car c'est ainsi que se déroule votre vie et la mienne. Librement — comme des enfants et, pardonnez-moi si j'insiste, non comme des esclaves — nous suivons le sentier que le Seigneur a tracé pour chacun de nous. Nous savourons cette facilité de mouvement comme un don de Dieu. Librement, sans aucune contrainte, parce que telle est ma volonté, je me décide pour Dieu. Et je m'engage à servir, à transformer mon existence en un don aux autres, par amour de mon Seigneur Jésus » (saint Josémaria, Amis de Dieu, n° 35). Et en dernier ressort cette libre élection émane de « la liberté des enfants de Dieu, que Jésus-Christ nous a gagnée en mourant sur le bois de la croix » (Ibid., n° 297).

    (fin)

    Dominique LE TOURNEAU

    (cet article est paru dans Theologica XXII-XXIII [1991], p. 3-14)