On parle du feu matériel de l’enfer ; je frémis et je ne sonde pas ce mystère. Mais je pense que même si le feu était matériel, les damnés s’en réjouiraient, en vérité, car dans les tourments matériels, ils pourraient oublier, j’imagine, ne serait-ce qu’un instant, les tourments spirituels plus terribles. On ne saurait, d’ailleurs, leur ravir ces tourments spirituels, car ces tourments ne sont pas extérieurs, mais intérieurs. (…)
Oh ! il y a dans l’enfer des âmes qui demeurent fières et féroces, malgré la connaissance incontestable et la contemplation de la vérité inéluctable ; il y a des âmes effrayantes qui communient entièrement avec satan et son esprit d’orgueil. Pour ceux-là, l’enfer est un enfer volontaire et ils ne sauraient s’en rassasier, ceux-là sont des victimes volontaires. Car ils se sont maudits eux-mêmes, ayant maudit Dieu dans la vie. Ils se nourrissent de leur orgueil haineux, comme un affamé suçant dans le désert le sang des on propre corps. Mais ils sont insatiables pour les siècles des siècles, et ils repoussent le pardon, et ils maudissent Dieu qui les appelle. Ils ne peuvent pas contempler sans haine Dieu vivant, et ils voudraient qu’il n’y ait plus de Dieu de la vie, que Dieu s’anéantisse lui-même, avec toute sa création. Ils brûleront éternellement dans les flammes de leur colère, assoiffés de mort et de néant. Mais ils n’obtiendront pas la mort.
Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Entretiens du starets Sosime, livre 6, chap.3.