À l'occasion de l'anniversaire de la Libération de Paris,je vous propose une poème sur Paris, capitale.
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25 août : Libération de Paris
CAPITALE
Ma capitale, c'est Paris
La ville de tous les prévôts
Cité de tous les grands paris
Où toujours liberté prévaut
Ville capitale
Sise au cœur de l’Île-de-France
Elle marque en tout temps, toute heure
Au pays tout entier de France
Les voies et moyens du bonheur
Ville impériale
Ses enfants sont primesautiers
Mais quand l'épreuve les surprend
S'ils ont oublié le psautier
Ils savent resserrer leurs rangs
Ville conviviale
Ah ! les deux tours de Notre-Dame
S'élançant, droites, vers le ciel
Elles symbolisent son âme
Mieux qu'un quelconque gratte-ciel
Ville cathédrale
La Seine, lente, qui s'y déroule,
Gros succès des chants populaires,
Désigne en permanence aux foules
Son aspect le plus médullaire
Ville fluviale
*
* *
Et Paris est ma capitale
Ville de tous les Marivaux
Parée comme une digitale
Incomparable et sans rivaux
Ville unique
La ville qui sert de repère
Grâce au céleste lanternier
Depuis l’époque de nos pères
Jusques au jugement dernier
Ville féerique
Ah Paris ! Ton peuple toujours
Brille par son intelligence
Suscite la nuit et le jour
Un immense élan d'allégeance
Ville ludique
Les Champs-Élysées, l’Arc, le Louvre
Ménilmuche puis Belleville
De partout le regard découvre
Les mille beautés de ma ville
Ville onirique
Quant au réseau de son métro
Soit il voisine les égouts
Soit il circule sous les eaux
De la Seine sans nul dégoût
Ville dynamique
*
* *
Ma capitale, c'est Paris
La ville de tous les dévots
Où l'on ose un hardi pari
Qui bien une grand messe vaut
Ville audacieuse
Parcourue de frémissements
Elle tire de son histoire
À force de renoncements
Un vaste pécule de gloire
Ville généreuse
Ah ! que de fois dans tes murailles
Le cri — ce cri ! – de liberté
Poussé par une humble piétaille
T'a redonné pleine fierté
Ville victorieuse
Et de Montmartre au Montsouris
Des Arènes jusqu'au Marais
Paris partout à tous sourit
Donne espoir au désemparé
Ville charmeuse
D'Eiffel la généreuse Tour
En inexorable guetteur
Rehaussée de tous ses atours
D'amour s'improvise quêteur
Ville ambitieuse
*
* *
Oui Paris est ma capitale,
Ville de tous les écheveaux
De ses ressources zénithales
Les démêlant aux caniveaux
Ville rebelle
D'Alger à Montevideo
D'Athènes, de Rome à Moscou
On y projette en vidéo
L'aventure des casse-cou
Ville étincelle
Tous ceux qui ont donné leur vie
Afin qu'autrui vive à son tour
Et extériorise à l'envie
Reconnaissance sans détour
Ville fraternelle
Sur la Butte, aux Grands Boulevards
Le titi parisien, railleur
Discourt, impénitent bavard
L'imagination vole ailleurs
Ville spirituelle
Mais quoi qu'on dise quoi qu'on fasse
Paris est bien la capitale
— Qu'on tire à pile ou bien à face —
Du monde. Donc elle est vitale
Ville universelle
Un voyage en Corse (suite et fin)
(suite du récit de voyage de Fernand Le Tourneau en Corse, en 1909)
Le lendemain au départ, temps couvert : nous voyons la côte et la mer, mais les montagnes du Cap sont dans les nuages, et aussi l’Ile [Rousse] que nous ne devrions pas perdre de vue.
La route suit la côte, qui est très découpée, contournant chaque golfe et chaque ravin, tantôt montant, tantôt descendant ; elle est parfois taillée dans le roc, qui descend à pic jusqu‚à la mer. Les roches sont blanches, vertes, noires, mais surtout vert clair, creusées par le vent et la pluie en forme de coupe, les maquis vont souvent jusqu‚à la mer, et les chênes verts sont nombreux, bien plus avancés ici qu’auprès d‚Ajaccio ; le feuillage nouveau a presque remplacé celui de l’an dernier. Des cultures en terrasses autour de chaque village.
Nous nous arrêtons pour déjeuner à la Marine d’Albo : quelques maisons de pierre, la Douane et l’auberge, dominées par la Tour génoise. Le téléphone annonçant notre venue n’est pas encore arrivé, et nous déjeunons de saucisson, œufs et poisson.
Après déjeuner, nous regardons les drôleries d’un perroquet, donné à l’aubergiste par son fils, marin au service de l’État. Il épuce un vieux qui doit être de ses amis, et lui becquette les yeux et la bouche. Il becquette aussi la bouche de la jeune servante, jolie fille aux beaux yeux et au joli teint, qui lui tend amoureusement les lèvres, les yeux mi-clos. À qui songe-t-elle ?
Nous allons voir emballer dans des sacs le poisson pêché la veille sur la côte de l’Ile Rousse, et séché au soleil pendant vingt-quatre heures : espèces d’anguilles de mer à peau tigrée, qu’ils appellent morenas [murènes ?]. Cela permet de les conserver et de les transporter plus loin.
Le temps s’était levé, et, soudain, en face de nous, au-dessus de la côte et des nuages qui la couvraient, très hautes, les montagnes toutes blanches, vite cachées à nouveau par les nuages. Quand le temps est tout à fait clair, ce doit être magnifique.
Nous passons à Nonza, perché sur un haut rocher à pic sur la mer, et, continuant à longer la côte, arrivons à Saint-Florent en même temps que la fraîcheur du soir. Promenade dans la ville, où la jetée sert de latrines, où les enfants chantent faux les cantiques à l’église, et où les petites filles chantent en français des rondes sur la promenade ombragée de platanes.
19 mai. Départ de bonne heure pour Bastia. La route monte le long d’une vallée bien arrosée, et même marécageuse par endroits. Beaux pâturages, beaux chênes verts, beaux oliviers. On passe en vue d’un village pittoresquement étagé au flanc du coteau, Oletta, puis on monte dans les châtaigneraies et les pâturages au col de San Stefano, d’où la vue est étendue sur les deux vallées et les deux mers. La route traverse en descendant le défilé du Lancone, très abrupt du côté de la route, le torrent dans le fond du ravin, très profond, le maquis couvrant les pentes du haut en bas, la vallée plus large, et la mer au fond du défilé. Descente sur la mer et sur Bastia par une route très cahoteuse, et un soleil très chaud.
Il fait très chaud ici ; nous avons repris notre chambre, relativement fraîche, et d’où l’on entend les hirondelles, et les sonneries trop fréquentes de l’église voisine.
Nous avons été satisfaits de notre séjour à Bastia, qui est pittoresque et animée. Nous avons seulement un peu souffert de la chaleur, et faisions la sieste après déjeuner jusqu’à 3 heures. Après, nous prenions une voiture ou un des trams qui sillonnent la ville, pour faire une promenade aux environs.
Jeudi, nous sommes allés aux grottes de Brando et à Erbalunga, à huit kilomètres de Bastia, sur la route du Cap. Les grottes sont à mi-hauteur, à flanc de coteau, d’accès très facile, avec escaliers bien aménagés. Elles se composent de deux salles, pas très grandes, dont les parois et les voûtes sont entièrement garnies de stalactites et de concrétions calcaires. L’éclairage est assez curieux : ce sont des bougies et des lampes à huile comme celles de Pompéi. Le gardien va en avant les allumer avant de commencer la visite.
Erbalunga, qui est à côté, est un petit village bâti sur un promontoire : du côté de la terre, où il y a peu de largeur, il y a la place et les cafés où l’on prenait l’apéritif, car c’était fête. Le lavoir couvert avec eau courante, et la Marine, où l’on était en train de mettre à l’eau les barques, tirées sur le sable avec des poulies. Après, il n‚y a plus qu’une ruelle centrale, et des maisons baignant de chaque côté dans la mer. De temps à autre, entre deux maisons, une descente à l’eau sur le roc. À l’extrémité, adossée à une maison, une tour génoise en ruine. Le village est aussi pittoresque de l’extérieur que de l’intérieur, et c’est un des plus jolis coins de Bastia. Près de l’église, il embaumait un mélange de roses et de citronniers.
Hier matin, promenade à pied de 5 heures un quart à 8 heures sur les collines qui avoisinent Bastia : soleil déjà chaud, et un peu de brume. Mais on passe par des sentiers à travers champs, montant, descendant, traversant un ruisseau à gué, longeant un vieux fort ruiné. Les haies sont couvertes de fleurs : roses, chèvrefeuilles, orangers, citronniers, fleurs du maquis. De la vue presque tout le temps.
L’après-midi, promenade en voiture du même genre, passant plus au nord, et montant plus haut. Nous sommes passés devant quelques bouchons [cabaret], où, l’été, les Bastiais viennent chercher un peu de fraîcheur, et avons fait le tour de Cardo, petit village pittoresquement juché sur un éperon de montagne, et en sommes descendus par une route défoncée par les charrois des carriers et des ardoises de mauvaise qualité, exploitées à flanc de coteau en bordure de la route. Quel chaos, et que de tournants brusques !
La vue est beaucoup plus nette que le matin, très étendue et très variée d’aspect. Nous voyons Bastia de très haut et sous toutes ses faces, et, peu à peu, les ombres s’allongent et gagnent Bastia, tandis que la mer et les bateaux sont encore tout éclairés.
La campagne est très bien cultivée : légumes, vignes, beaux oliviers. Dans le fond des vallées, bois ombreux et de l’eau qui sourd de tous côtés. Nombreuses chapelles funéraires, toujours situées à un endroit d’où la vue est belle.
Le cocher, qui est du pays mais a voyagé, y est rentré pour ne pas rester éloigné de sa mère. Les chevaux et la voiture sont à lui, et il se fait de bonnes journées, ayant gagné la veille 45 francs ; il est vrai que c’était fête, et qu’il a marché toute la journée. L’été, il va aux eaux d’Orezza, et gagne de 45 à 50 francs par jour à mener les baigneurs des hôtels aux eaux à 1 franc par tête et autant au retour. La vallée où sont les eaux est malsaine, et l’on habite dans les villages sur les hauteurs à une certaine distance. Il y a dans la région un bandit qui, il y a deux mois, a tué un brigadier et deux gendarmes et est activement recherché. Il y en a donc encore !!!
Les ouvriers agricoles gagnent de 2.25 à 2.50 par jour ; il est vrai que la vie est très bon marché : les petits pois se vendaient la veille au marché 0.05 le kilo, et, à la suite d’une pêche abondante, le poisson 0.20 la livre, les langoustes 0.75 la livre ; les fraises en saison valent 0.05 la livre, et les figues fraîches 0.05 les quarante, le vin naturel 0.30 le litre, et, quand la récolte est abondante, comme l’an dernier, certains propriétaires, faute de futailles pour le loger, le donnent pour rien à qui veut l’emporter. Une maison de sept pièces coûte 10 francs par mois de loyer.
* * *
Nota : une voiture, à l’époque, n’est pas une voiture automobile (celles-ci sont encore très rares), mais une voiture tirée par un ou deux chevaux et dirigée par un cocher ; c’est un taxi hippomobile.
Un voyage en Corse
Un de mes cousins, Louis Le Tourneau, a retrouvé de vieux papiers de famille et a pris la peine de transcrire un récit de voyage rédigé par mon arrière grand-oncle, Fernand Le Tourneau (1875-1959).
SÉJOUR à BASTIA et TOUR du CAP CORSE par M. et Mme Le Tourneau, Mai 1909
Dimanche après-midi, nous sommes allés nous promener dans la ville, et sur la côte, où le tramway nous a amenés à trois kilomètres pour 0.20 [francs]. Le tramway est un petit break de 6, où l’on a la prétention de faire tenir jusqu’à 10 personnes, du même modèle que les fiacres de la ville. (lire la suite)
Voyage à Persépolis
Il est en Orient une ville très légendaire
Dont l’évocation frappe toujours l’imaginaire.
Elle est vieille de deux mille six cents ans
Et fut détruite par Alexandre le Grand.
Quant au motif de ce geste dévastateur,
Nul ne le sut jamais, un instinct prédateur
Devant néanmoins être exclu. Mais revenons
À Persépolis, car tel est son si beau nom.
Ville mythique que fonda Darius Ier
Qui n'hésita pas à puiser dans le grenier
Parmi les arts de son siècle les plus toniques :
Colonnes cannelées relevant de l'ordre ionique,
Et de la riche Égypte les salles hypostyles,
De Mésopotamie des frises dont le style
Grandiose et guerrier est présent à notre esprit
Pour l'avoir souvent vu reproduit ou décrit.
Ledit Darius fit percer un canal du Nil
À la Mer Rouge, pour recevoir du fournil
Le pain doré, des fruits divers et les barriques
Qu'il réglait avec sa monnaie, les dariques.
N'oublions pas qu'il fut battu à Marathon
Défaite que voulut venger son rejeton
Xerxès après Platées puis hélas Salamine,
Mycale enfin, dut faire une bien grise mine.
À Persépolis, il rehausse la splendeur
Des temples et remet plus encore à l'honneur
Les cohortes sans fin de ses vaillants soldats
Dont les faits d'arme sont pourtant sans grand éclat.
Quant à Artaxerxès, son fils, qui lui succède,
C'est par un bain de sang qu'à son trône il accède.
Il sait se montrer à l'occasion magnanime
Et même accueille le vainqueur de Salamine,
Thémistocle, sur le tard frappé d'ostracisme
À Athènes même, et, ignorant tout racisme,
Il accepte que ce qui reste d'Israël
Rentre à Jérusalem, s’y trouvant comme au ciel.
Persépolis connaît, sous son gouvernement,
Une floraison de parures, d'ornements.
Chez les Achéménides, elle apparaît vraiment
Comme étant la cité au meilleur agrément.
(Poème inédit)
Voyage à Lisbonne
Une conque ouverte en grand, tournée vers le large
Montre une perle au grand jour, vraie, étincelante,
La splendide parure de l'estuaire du Tage
Qu'Hélios à son zénith fait reluire éclatante.
L'antique Olisipo, municipe romain,
Servait d'escale vers les îles mythiques,
Oui les Cassérides, productrices d'étain,
Même pour les Ibères venus de la Bétique.
La civilisation arabe y imprima
Son caractère, gloire des califats jadis,
Encore visible dans le quartier d'Alama
Et Lisbonne devint un coin de paradis.
Aujourd’hui elle l’est encore,, assurément.
Ce n'est pas l'apport de l'époque médiévale,
Si présent dans les hauteurs, qui le dément.
Et sa splendeur par vagues vers l’océan dévale.
À cet endroit, le fleuve s'appelle mer de Paille
Il prit part aux combats des maures et des croisés
Et en accueillit une abondante tripaille
Qu'on pouvait oui-da la mesurer au toisé.
L'histoire à chaque époque remodèle les arts.
Voici le monastère dit des Jeronimos
Et la tour de Belém, manuéline, à l'écart
Puis l’infinie richesse de ses azulejos.
Au siècle des Lumières ici on aménage
La place du Commerce dedans la ville basse.
Elle sert de socle à ses différents étages
Dont la beauté bauté d’un lieu à l’autre se surpasse.
Ses habitants, aimables autant que travailleurs,
Ont su accommoder l’ancien et le moderne.
Fiers marins, ayant le regard tourné ailleurs,
Ils ont édifié une audacieuse poterne.
C'est le pont Vasco de Gama qui d'une rive
À l'autre enjambe, altier, le cours des eaux sereines.
L'imagination trop sollicitée dérive
Et couronne Lisbonne, faisant d’elle sa reine.
bonnes vacances
À ceux qui partent à la montage… et aux autres, je dédie ce poème :
GLACIER
Dans cette masse blanche démesurée
Aux dimensions qui frisent le fantastique
Une vie souterraine reste emmurée
Dans nos régions tout comme dans l'Antarctique.
Le peuple de l'eau habitait ses cavernes
Et ses crevasses lançaient de sourds messages.
Des êtres cachés fréquentaient des tavernes
Se frayant dans la glace d'obscurs passages.
Les parois bleuies exsudaient des ruisseaux.
Ils sourdaient par millions, ouvrage inattendu
De la nature, scintillants vermisseaux
Reflétant le soleil d'un air entendu.
Des torrents s'étouffaient au fond des abîmes
Des cascades sabraient d’étonnantes failles
Les murs rigides mais vivants, et des cimes
Chutant en grondant y creusaient des entailles.
Les eaux profondes venaient à la surface
Tantôt timide sueur coulant des pores
De la glace, tantôt dans un volte-face
Vastes cataractes surgissant d'un port.
Derrière les jeux d'eau il y a la vie
Cachée du glacier. Des explosions lointaines
Indiquaient qu'on avait atteint le parvis
D'une cathédrale grave et souterraine.
De voûte en voûte l'écho marquait les chocs
D'une masse qui ignore le repos.
Des craquements prouvaient la tension des blocs
Leur dommage, soulèvement et dépôt.
De temps à autre un pan du glacier bougeait
Comme un homme qui remue dans son sommeil
L’irruption d'un songe l'ayant dérangé
Et suggéré on ne sait quelle merveille.
Le fracas des eaux, les jeux de la lumière
Créant une féerie toujours nouvelle
Sont l’invitation au for de ma chaumière
À tourner pas et regards vers l'Éternel.
Voyage à Khinsasa
Le mal d'Afrique est un mal dont on ne meurt pas
Mais il est rare que ceux qui portent leurs pas
Sur ce grand continent piriforme y échappent :
C'est fièvre d'amour qui fermement vous attrape.
C’est irrationnel, et un peu incontrôlé,
L'étranger ne se laisse certes pas enjôler,
Non, il est plutôt embobeliné, séduit
Par des sortes d'effluves dont il est comme enduit.
Au Congo, Kinshasa, la grande métropole,
Elle aussi de colline en colline cajole
Le nouveau venu, quel qu'il soit, et le mignote,
Fait pression sur son cœur, puis après le grignote.
L'explorateur Stanley John fonda cette ville
Pensant au roi, il la nomma Léopoldville,
Hommage à qui créa pour une coloniale
L'Association africaine internationale.
Le majestueux Congo s'étale et prend ses aises
Puis chute d’un seul coup, rappelant le Zambèze.
Il forme à Kinshasa le seul Malebo Pool
Large de bien trente kilomètres et s'écoule
Vers Matadi, où il est agité soudain.
Par ses rapides il file non sans dédain,
Tandis que dans les rues des foules de kinois
Déambulent toujours avec leur gai minois.
Ils vont, ils viennent sur des artères de sable
Entre des palissades d'où n'émerge aucun gable.
Ils gravissent les pentes, et puis en redescendent
En colonnes sans fin qui de partout serpentent.
Qu'importe s'il n'y a plus aucun lampadaire,
Si les lampes à huile donnent un drôle d'air
À la ville, où la nuit est tombée de bonne heure,
Sa latitude étant à peu près l'équateur ?
Qu'importe tout ce qui manque à l'occidental ?
Il est pris, quoi qu'il veuille, c'est tout sentimental,
Par l'atmosphère ambiante et puis par l'air du temps,
Par l'humus africain et par ses habitants.
Un voyage en Corse
Un de mes cousins, Louis Le Tourneau, a retrouvé de vieux papiers de famille et a pris la peine de transcrire un récit de voyage rédigé par mon arrière grand-oncle, Fernand Le Tourneau (1875-1959).
SÉJOUR à BASTIA et TOUR du CAP CORSE par M. et Mme Le Tourneau, Mai 1909
Dimanche après-midi, nous sommes allés nous promener dans la ville, et sur la côte, où le tramway nous a amenés à trois kilomètres pour 0.20 [francs]. Le tramway est un petit break de 6, où l’on a la prétention de faire tenir jusqu’à 10 personnes, du même modèle que les fiacres de la ville.
Vers 6 heures, sur la Place Saint-Nicolas, nous nous sommes assis pour regarder passer le beau monde de Bastia, toilettes très claires, toutes jeunes filles à la poitrine déjà opulente et sans corset, amours de petits enfants très bien habillés.
Après dîner, nous fûmes au Théâtre, qui est tout un poème : les premières coûtent 1.50 chaque, ce qui n’est pas cher, mais presque personne ; davantage aux places bon marché, pas mal de militaires. Ils estiment n’avoir pas besoin de sortir pour se soulager, et que les corridors sont faits tout exprès pour cela, de sorte que la salle empuante, et de telle façon que même en se bouchant le nez et respirant par la bouche, on ne peut y échapper.
Deux actes ainsi parfumés et mal joués — que peuvent manger les pauvres cabots ? — nous ont suffi, et à 10 heures, nous étions rentrés.
Départ lundi à 8 heures pour le tour du Cap Corse. Nous allons déjeuner à Macinaggio, à l’extrémité orientale du Cap. La route suit la mer ; la côte est presque droite ; il y a une succession de petits caps, derrière lesquels se dressent les montagnes du massif central. De temps en temps, un petit cours d’eau et quelques maisons : c’est la « marine » d’une commune, dont les villages sont éparpillés aux flancs des montagnes. Chaque vallée forme comme un éventail dont la tige aboutit à la mer, tandis que la partie dépliée est à l’intérieur, et les montagnes, par contre, étroites au départ à la chaîne centrale, s’élargissent en approchant de la mer.
Après déjeuner, nous partons par une chaleur assez forte pour passer du versant oriental au versant occidental, en contournant à grande hauteur le nord du Cap. Région presque inhabitée, maquis très maigre. Le temps s’est malheureusement couvert, et du col de la Lena (361 mètres) nous ne voyons que les profondes découpures de la côte occidentale. Les nuages nous cachent le Cinto et ses neiges. Nous descendons en contournant la côte jusqu’à Morsiglia, où nous devons dîner et coucher. Nous faisons un tour dans le village, qui domine la mer de très haut : très différent d‚aspect des villages de l’intérieur de l’île. On ne rencontre pas d’hommes à fainéanter, ni de cochons à vagabonder sur la route ; il ne dégage pas l’odeur de Corte, et les enfants, comme les champs, sont propres et bien tenus. La terre est cultivée tout autour, retenue par des terrasses, jusqu’à la mer.
Nous nous asseyons au bord de la route, dans l’espérance d’un beau coucher de soleil, mais il se couche dans les nuages, et nous rentrons faire dans cette auberge de peu d’apparence le meilleur dîner de notre voyage : potage, langouste, poissons frits, petits pois au lard, sanglier, raisiné [confiture que l’on fait avec du jus de raisin et d’autres fruits], brocchio aux œufs, sorte de crème renversée, le tout arrosé de vin blanc de l’année, et de vin fin, récolté et soigné par l’aubergiste depuis 17 ans et qui était délicieux.
L’aubergiste nous servit, la serviette sous le bras, et nous conta des détails sur le pays. La langouste s’y vend maintenant 22 ou 24 sous la livre, alors qu’il y a vingt ans, elle n’en valait que quatre [un sou équivaut à 5 centimes de franc]. Le vin fin qu’il nous sert est le produit des meilleures vignes du pays, avant le phylloxéra. Les grappes, cueillies et triées, étaient mises à sécher au soleil avant d’être pressées, et on avait ainsi du vin naturel ayant jusqu’à 14, 15 et même 18° d‚alcool. Le vin était soutiré tous les ans de grands fûts dans de petits, puis dans des dames-jeannes et n’était bon à mettre en bouteilles qu’à la sixième année.
On chasse le sanglier toute l’année, et on en tue une soixantaine chaque année. Si un étranger désire chasser, tout le pays s’en met, et il arrive parfois qu’on tue deux ou trois bêtes dans la même battue, comme il arrive que l‚on ne tue rien. Les bêtes ne sont pas vendues, on les partage entre tous les chasseurs.
La côte est très poissonneuse ; les pêcheurs sont rentrés la nuit dernière avec environ 3000 kilos de poisson, et sont partis avec les mulets chargés pour en vendre dans tous les villages avoisinants.
Les chèvres sont dans la montagne et ne reviennent pour pâturer dans les maquis communaux que du 23 décembre au 23 mars.
Chambre très propre, blanchie à la chaux, lits de fer, serviettes-éponges, et, sur la toilette, savon et brosse à dents !!!
En nous éveillant, nous entendons les oiseaux : ceci est une nouveauté, car il n’y en a presque pas à l’intérieur de la Corse.
(à suivre…)
Voyage en Italie en 1906 (suite)
Palerme, 19 février. Hier, nous avons visité les cathédrales dont l’extérieur, en un style tout à fait étrange, produit un effet étonnant de forteresse rendue plus séduisante à l’œil. L’intérieur est celui d’une grande église comme Saint-Sulpice.
Le Palais Royal, avec son bijou de Chapelle Palatine, malheureusement un peu trop sombre ; mais quelle somptuosité et quelle impression on aurait si on pouvait restituer une cérémonie religieuse avec les costumes du XIIème siècle.
La chambre du Roi Roger nous a fait aussi une étrange impression. C’est un somptueux cachot plutôt qu’une chambre.
L’ancienne église Saint-Jean, avec son petit cloître et toute sa flore exotique, est d’une poésie toute prenante ; quel joli coin ! Mais on regrette qu’il n’y ait que des murs.
La promenade à l’Acqua Santa et au village d’Arremelia [Arenella sur les cartes modernes] est agréable et permet de jouir de la Baie de Palerme du côté de Palerme. C’est bien de formes, un peu plus accentuées que les montagnes de Sorrente. Mais il y avait un peu trop de nuages et de brume en fin de journée.
La population vit dehors et les enfants vous accompagnent en bande, vous offrant leurs services, et demandant de la « moneta ». Leur voix est douce et leur physionomie généralement agréable de traits ; les hommes ont la voix gutturale. Les femmes ont des yeux superbes et une démarche pleine de noblesse. Mais on voit qu’il y a diversité de races et grand mélange de sang.
La ville est bien changée et améliorée, mais perd son cachet spécial : on a créé de grandes voies et tout un quartier neuf au pied du Monte Pellegrino. On rencontre encore dans la vieille ville tous les vicolos avec balcons et linges pendants qui donnent un cachet tout particulier et inconnu de nos pays.
Nous venons de visiter le Musée, qui est intéressant et contient des œuvres assez remarquables en peinture et sculpture, mais, sauf certaines ˛œuvres de Renaissance, ce ne sont pas les sommités de l’art.
Les églises de San Cataldo et de la Martorana sont intéressantes par leur disposition intérieure que l’on a restitué autant que possible, et leurs mosaïques, en partie anciennes ; mais ce sont de petites églises n’ayant pas les dimensions de nos sanctuaires actuels.
Dans la journée, nous sommes allés à la Villa Julia, à la promenade le long de la mer, d’où la vue est très belle sur la baie de Palerme, avec un bon éclairage des montagnes environnantes.
Girgenti [rebaptisée Agrigente en 1927], 22 février 1906. Nous sommes arrivés hier par la pluie battante, après avoir eu mauvais temps pendant une partie de notre route de Palerme ici.
Le trajet a été rendu désagréable par le transbordement de 500 mètres à pied sous la pluie, par suite d’un affaissement de la voie.
La route n’offre pas toutes les beautés dont on nous avait parlé. Il y a de beaux points de vue avec la mer et de hautes montagnes couvertes de neige, mais le paysage finit par être le même, surtout dans la traversée de la Sicile. Cependant, il y a de la grandeur et de la noblesse dans les lignes de montagnes que l‚on contourne.
L’arrivée à Girgenti produit une grande impression, avec ses horizons de montagnes couvertes de neige et ses premiers plans fortement vallonnés, et presque partout cultivés. La ville est curieuse mais n’offre rien de particulier ; les églises sont sans intérêt, et les quelques édifices que l‚on trouve sont d’un style médiocre.
Mais quelle joie et quelle satisfaction à la vue des temples antiques ! Leurs belles proportions et leurs lignes si pures étant si sévères, produisent un si prodigieux effet avec tant de simplicité.
Quelle devrait être l‚impression si l’on pouvait restituer les édifices qui entouraient ces temples, les habitants, etc.
Le Temple de la Concorde permet d’imaginer ce que pouvaient être ces cérémonies. Mais quelle était la décoration intérieure ? Rien ne peut nous aider dans une restitution.
Le Musée offre de l’intérêt par de superbes vases grecs, un magnifique sarcophage orné de triglyphes en marbre blanc, un torse de jeune homme d’une beauté et d’une exécution parfaites.
La situation de cette ville antique était superbe et fait comprendre combien elle était enviée par les peuples qui se disputaient la Sicile.
Les amandiers sont tous en fleurs, les blés sont verts, et toutes les fleurs des champs s’épanouissent au milieu des roches et des débris antiques. Aussi la campagne est séduisante, surtout en songeant à nos arbres sans feuilles. Autour de Palerme, on voit une quantité de citronniers, remplacés ici par des amandiers.
(à suivre…)
Voyage en Italie (suite 5)
13 mars. Nous avons passé la journée dans les ruines de la vieille Rome, le matin au Forum, l’après-midi au Palatin et au Colisée. Que de changements : le Forum, découvert de l’Arc de Septime Sévère à l’Arc de Titus, on suit la Voie sacrée, bordée de temples et de ruines de toute sorte, et personne ne passe plus là où nous avons vu voitures, bêtes et gens circuler sur une route poussiéreuse au milieu de l’herbe. On ne peut se figurer l’entassement de monuments, de ruines, de débris de toute sorte, et, malgré les souvenirs classiques, on a peine à se retrouver au milieu de toutes ces constructions ruinées.
Au Palatin, on a presque tout mis au jour : Palais de Caracalla, des Flaviens, de Septime Sévère, de Livie, où l’on voit des peintures plus belles que celles de Pompéi, dont le fini, le modelé étonnent.
Au milieu du Palais de Septime Sévère se trouve un cirque de plus de 150 mètres de long, entouré de portiques ; la loge impériale existe encore avec sa voûte ornée de caissons ; c’est fabuleux de proportions, et tout a été découvert depuis 1866.
Aussi suis-je bien heureux d’être revenu à Rome, qui, gâtée dans certaines parties, est encore plus intéressante dans ses parties anciennes.
Le Colisée a été débarrassé de son ridicule Chemin de Croix ; il produit toujours le même effet de construction colossale.
14 mars. Je suis allé à Saint-Paul-hors-les-murs et ai erré dans la Ville, pendant que Blanche était à Tivoli. Je lui passe la parole : « La visite de Tivoli est maintenant presque toujours précédée par celle de la Villa d’Hadrien que l’on a dégagée il y a trente ans, et qui est à quatre kilomètres avant Tivoli.
Hadrien avait réuni là théâtres, thermes, naumachies, stades, école de philosophes, habitation, temple égyptien, etc. Ce sont des restes très importants au milieu d’un parc d’oliviers et de grands cyprès. La visite en est extrêmement intéressante, bien que tous les marbres aient été enlevés et mis dans les musées.
À Tivoli, je suis allée sous la pluie aux Cascades et au Temple de Vesta. C’est un paysage charmant, et j’en suis revenue enchantée ».
15 mars. Nous avons, par un temps superbe, passé une journée charmante, le matin à la Villa Borghèse, devenue la Villa Umberto. Les ombrages, les perspectives, les pièces d’eau sont des plus heureux.
Rachetée par la Ville après la déconfiture des Borghèse, elle est devenue le Bois de Boulogne d’ici, en conservant tous ces beaux restes des demeures de neveux des Papes.
De là au Pincio, l’ancienne promenade romaine, où j’avais rêvé quand j‚avais 23 ans et attrapé les fièvres pour m’être attardé dans mes rêves.
Après avoir descendu l’escalier de la Trinité des Monts pour arriver à la Place d’Espagne, et avoir déjeuné dans un excellent restaurant italien, nous sommes allés à Sainte-Marie-Majeure et à San-Lorenzo-hors-les-murs, pour revenir au Quirinal et à la Fontaine Trevi. Quel ravissement en face de ces œuvres vraiment remarquables : Sainte-Marie-Majeure par ses belles proportions et ses mosaïques, San-Lorenzo par ses superbes mosaïques byzantines, les seules de Rome, ses ambons ornés de dessins en mosaïques, ses colonnes de marbre blanc, couronnées de chapiteaux corinthiens, intacts, et par deux chapiteaux tout à fait uniques, représentant une armure romaine avec bouclier, et des Victoires aux angles.
Cette basilique a été restaurée par Pie IX qui y a son tombeau, fort simple d’ailleurs, mais dans une chapelle décorée de mosaïques superbes.
En rentrant, nous avons admiré la superbe fontaine Trevi, que l’on ne peut se lasser de voir, un des plus beaux chefs d’œuvre de l’architecture.
16 mars. Notre journée s’est passée à visiter Saint-Pierre, les musées du Vatican, Saint-Paul-hors-les-murs et les ruines sur le chemin. Le tombeau du Pape Léon XIII à Saint-Pierre est des plus simples, sarcophage en marbre blanc dans une niche au-dessus d'une porte, avec dessus un coussin sur lequel est posée la tiare. Ni figure, ni symbole.
Les Chambres de Raphaël sont toujours aussi impressionnantes par leur puissante et magnifique décoration. On les a restaurées et elles sont en bon état ; il n’en est pas de même des Loges, dont les superbes décorations, genre Pompéi, ont presque partout disparu. On a restauré les scènes de l’Ancien Testament, qui sont dans les voûtes, mais d’une coloration trop vive.
La Chapelle Sixtine n‚a pas changé non plus, quoique les fresques m’aient paru un peu noircies. La Chapelle de Nicolas V avec les fresques de Fra Angelico est un bijou.
Les musées d’art antique sont les plus riches que je connaisse, il y a là réunis des chefs d’œuvre incomparables, et on ne peut se lasser d’admirer les quatre merveilles du Belvédère.
En avant de Saint-Paul-hors-les-murs, on achève un superbe portique formant atrium orné de magnifiques colonnes de granit, avec bases et chapitaux corinthiens en marbre blanc ; la façade au-dessus du portique est décorée de mosaïques représentant le Père éternel, les Quatre docteurs, l’Agneau Pascal faisant couler les sources où les brebis viennent puiser les bonheurs célestes et peut-être terrestres.
On pense restaurer le cloître : il m’a ravi, plus que celui de Monreale, qui est dans le même style.
(à suivre…)