La conversation nous rapproche des autres et donne une sens profond de nous-mêmes ; elle nous repose de nos fatigues, nous distrait des préoccupations, développe notre personnalité, ravie nos pensées. Quand je suis triste, la sympathie de mon interlocuteur me réconforte. Quand je suis seul, la conversation peuple ma solitude : s'il s'agit d'une conversation familière, je suis heureux d'être admis dans l'intimité d'autrui ; s'il s'agit d'une conversation importante, je me sens honoré de me voir traité comme un "être pensant".
Quand je converse pour la première fois avec quelqu'un, j'ai l'impression de voyager agréablement à travers un pays inconnu. La seconde, la troisième, la quatrième fois, je retourne contempler des paysages déjà vus, mais dont je n'avais pourtant pas encore décelé toutes les beautés. Je trouve aussi que la conversation m'enrichit. Posséder de solides convictions est bien ; mais les posséder de manière à les communiquer et les voir partagées est encore mieux. La clarté de la chose dite augmente la clarté de la chose pensée. Si je perçois que mon sentiment fait vibrer l'âme d'autrui, je sens son écho me revenir et je vibre davantage moi-même. Jésus lui aussi a trouvé du réconfort dans la conversation ; il suffit pour s'en convaincre de lire en saint Jean les confidences à ses apôtres durant la dernière Cène. Jésus a utilisé très souvent la conversation comme véhicule de son apostolat : il parlait en marchant le long des routes, en se promenant sous le portique de Salomon ; il parlait dans les maisons, entouré de personnes, comme Marie assise à ses pieds ou Jean qui posa sa tête sur sa poitrine. Plusieurs fois je me suis demandé : pourquoi le Seigneur a-t-il souvent exposé les plus hautes vérités à table ? Peut-être parce que pendant un repas les gens abandonnent leur réserve et prennent une attitude de calme, modérée, détendue.
Albino Luciani (futur pape Jean-Paul Ier), "Lettre à Giuseppe Giocchino Belli", Humblement vôtre, Paris, 1978, p. 282-283.