« Si c’est celui-ci que tu libères, tu n’es pas ami de César : quiconque se fait roi se déclare contre César » (Jean 19, 17). C’est le raisonnement qui fait définitivement fléchir Pilate. En fin de compte, toute cette histoire de Nazaréen n’est qu’une question de rivalité entre Juifs et il ne va pas prendre des risques pour cela. S’il peut obtenir le calme — alors que toute la ville est en ébullition — au prix de la mort d’un innocent, eh bien c’est leur affaire. Qu’ils se débrouillent entre eux. « Voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le trouble allait augmentant » (Matthieu 27, 24), Pilate « le leur remit pour ce qu’ils voulaient » (Luc 23, 25), c’est-à-dire « pour qu’on le crucifiât » (Marc 15, 15).
Alors les soldats « l’emmenèrent de là pour le crucifier » (Marc 15, 20) et, « portant lui-même sa croix, il sortit pour aller au lieu dit du Crâne — ce qui se dit en hébreu Golgotha » (Jean 19, 17). Et « ils appréhendèrent un certain Simon, de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus » (Luc 23, 26) et en alléger ainsi un peu le poids, car Jésus était déjà exténué par tous les sévices dont il avait fait l’objet depuis la veille et par la lourdeur d’une croix faite, non de bois, mais de la masse des péchés de tous les hommes de tous les temps. Il en a de la chance Simon, de pouvoir ainsi coopérer de près au rachat de l’humanité et de rendre un service au Seigneur à un moment crucial… Il ignore que Jésus a affirmé : « Tout ce que vous avez fait pour le plus petit de mes frères que voici, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25, 40). Alors quand le service est rendu directement à Jésus…
Il n’est pas étonnant que, suivant la tradition, le Seigneur se soit affalé à trois reprises sur le chemin du Calvaire. Il n’en pouvait plus, mais il s’est quand même relevé à chaque fois, dans un effort surhumain, car il voulait ardemment nous sauver du péché : c’est pour cela qu’il était venu dans le monde : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jean 3, 17).
Des saintes femmes observent éplorées le spectacle désolant de Jésus qui suffoque et que la croix, la brutalité des bourreaux, les coups des badauds, enhardis par la lâcheté générale, blessent de plus en plus. Elles pleurent sur lui, en qui elles ont vu le Fils de Dieu, le Messie. Elles « se lamentaient et pleuraient sur lui. Jésus, se tournant vers elles, leur dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants, parce que vont venir des jours où l’on dira : Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté et les seins qui n’ont pas allaité. […] Car si on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du sec ? » (Luc 23, 27-29).
À un détour du chemin, appelé depuis lors la via dolorosa, « le chemin douloureux », la tradition rapporte que Marie retrouve son Fils, si défiguré, mais qu’ils ont le temps d’échanger un regard qui en dit plus long que bien des paroles et des caresses que les gardes l’empêchent de donner. Comme nous aimons rester en compagnie de Marie, avec saint Jean et sans doute des saintes femmes, Marie-Madeleine et d’autres… En ces jours où la cruauté humaine est à son comble et où l’auteur du mal semble arriver à ses fins, c’est auprès de Marie que nous allons nous réfugier, car « elle te visera à la tête » (Genèse 3, 15), toi le serpent infernal.