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Voyage à Pompéi et au Vésuve en 1886

Un de mes cousins, Louis Le Tourneau, a retrouvé de vieux papiers de famille et a pris la peine de transcrire le récit de voyages de mon arrière grand-père, Ernest Le Tourneau (1843-1917). On trouvera ci-dessous le premier de ces récits, rédigé sous la forme d’un journal.

VOYAGE de M. Ernest LE TOURNEAU

à POMPÉI et au VÉSUVE en 1866


Première ascension du Vésuve.

Naples, 22 mars. Je suis allé avec mes amis au Théâtre San Carlos entendre un nouvel opéra d’un nommé Mercadante, intitulé « Virginie ». La musique est assez médiocre ; il y a quelques motifs assez jolis, et voilà tout. Quant aux chanteurs, ils ne sont pas meilleurs que ceux de la France. La prima donna était assez bonne, mais elle était excessivement froide, ce qui gâte la situation dramatique de la pièce. Après cela, nous avons eu un ballet assez médiocre. L’architecture du théâtre me plaît beaucoup ; j’aime ce genre de décoration excessivement grandiose et à grand effet. La loge du Roi est d’un grand effet par sa position médiane et sa décoration originale ; une seule chose ne me plaît pas : le plafond, que j’ai trouvé excessivement inférieur, même mesquin pour la grandeur de la salle.

Nous avons fait jeudi dernier notre ascension du Vésuve. Nous sommes partis le matin de bonne heure, et avons visité la Villa Real et la Favorite de Portici. Ce sont de très belles propriétés avec des jardins magnifiques, remplis de citronniers, orangers et plantes exotiques. Pour l’architecture, elle est médiocre, comme tout ce qu’il y a ici.


Après cette visite, nous avons déjeuné et pris des chevaux pour commencer notre ascension. Nous avons quitté Portici à 2 heures, et nous étions à 5 heures au pied du nouveau cône. Là, nous avons laissé les chevaux et commencé notre ascension, qui a été très pénible. Après une heure de fatigue, nous étions au sommet. Alors, nous avons joui du plus beau panorama que j’aie jamais vu : devant nous s’étendait la mer avec les Iles de Procida, Ischia et Capri ; à notre droite, Naples et la Côte du Pausilippe ; à gauche, Castellammare, Pompéi, Sorrente et, derrière, les Monts Apennins, et les premières plaines de la Calabre. Nous avons attendu le coucher du soleil qui nous a procuré un plaisir sans égal. Toute cette mer se colore par les feux du soleil, passant du rouge vif au jaune et au bleu du ciel, et produisant une harmonie de tons, une douceur de coloris que la peinture ne peut atteindre que bien difficilement.

Là, nous sommes descendus dans le cratère, et montés sur la cheminée même du volcan. Nous avons vu le feu intérieur et respiré cet air sulfureux qui vous prend à la gorge, si l’on y reste trop longtemps. Cette vue du cratère est unique par les variétés de tons et de couleurs que l’on rencontre parmi ces pierres couvertes de fer, de cuivre, de soufre, et rejetées de l’intérieur de la terre.

Nous sommes ensuite redescendus assez rapidement, et nous nous sommes arrêtés en route pour boire du Lacryma-Christi, qui est vraiment un vin exquis.

De retour vers 10 heures à Portici, nous avons pris une barque qui nous amenait à destination vers 11 heures.

Vendredi, je suis allé à Pompéi, que j’ai visité consciencieusement pour la première fois. Le sentiment qu’on éprouve en entrant dans cette ville est d’abord pénible, puis ensuite, en quittant le siècle où nous vivons, et en se reportant au siècle d’Auguste, on est étonné de voir les rues désertes, et l’on s’attend toujours à voir apparaître les habitants revenant soit d‚une expédition guerrière, soit des jeux de l’amphithéâtre, que l’on entre bien dans les habitudes et la vie romaine, lorsque l’on voit ces habitations uniquement faites pour une vie agréable, qui devaient être très confortable ; car partout, l’on retrouve l’usage des jets d’eau si nécessaires dans les pays chauds.

Je suis étonné et ravi de voir par mes yeux et de pouvoir disserter, sur les lieux mêmes, des hypothèses faites en écrivant la vie drun Romain sous le siècle drAuguste.

Hier, nous sommes allés à Castellammare ; c’est un pays bien beau, et surtout admirablement situé. Nous nous sommes promenés sous les orangers et les citronniers chargés de fleurs et de fruits. C’est vraiment ravissant. Nous avons fait une excursion sur la hauteur et descendus par un ravin de toute beauté. Naturellement, le torrent était à sec, mais le site avait conservé son aspect agreste et même riant par la puissante végétation qui couvrait ses bords : orangers, citronniers, aloès, toutes ces plantes inconnues de nous poussent et ornent les moindres petites collines de ce délicieux paradis.



3 mai. Cette ville romaine m’a offert tant de belles choses et tant à étudier que je n’ai pu résister à l’attrait d’y passer quelques jours.

J’ai vu Paestum et sans brigands ; c’est un pays moins désert que je me l’étais figuré ; il est vrai que de temps à autre l’on rencontre des terrains incultes, mais généralement, les eaux marécageuses ont disparu, du moins le long de la route. Quant aux brigands, je n’en ai aperçu aucun.

La route est assez bonne, et le trajet se fait en quatre heures. Les temples de Paestum sont quelque chose d’admirable. C’est imposant, grandiose, et tout cela avec une simplicité étonnante. La ligne est d’une pureté incroyable : c’est vraiment l’apogée de l’art, et devant ces ruines on comprend et on reconnaît la supériorité du génie grec sur celui des Romains. Le temple de Neptune, qui est le plus grand et le mieux conservé est d’un effet saisissant, l’intérieur ou cella est admirable de proportions. Ce qui est surtout magnifique est le ton doré que la pierre a pris sous l’action du soleil. C’est une chose dont nous, habitants du nord, habitués à voir nos monuments noirs, par le temps et la pluie, ne pouvons nous faire une idée sans l’avoir vu.

Ce temple est plutôt grandiose, imposant que gracieux ; pourtant quand on l’étudie, on reconnaît une certaine grâce alliée à de la force dans le galbe des colonnes et la pureté des profils, mais une chose m’a fait beaucoup de peine, c’est le peu de soins avec lesquels est faite la construction proprement dite. Pour n’en donner qu’un exemple, les triglyphes sont coupés par un joint, ce qui est une chose extraordinaire chez les Grecs, plus soigneux dans leur construction que les Romains.

Le temple de Cérès, plus petit, est moins remarquable : il est d’un style beaucoup moins correct : les colonnes sont d’un galbe étrange et même désagréable ; les chapiteaux sont lourds et hors de proportions. Cependant, l’ensemble est encore satisfaisant.

La Basilique est conçue dans le même style, la disposition est assez remarquable. Le paysage et la campagne sont ravissants dans ce pays de soleil qui donne à tout cela une teinte et une couleur particulières que l’on ne saurait définir. C’est lumineux, brillant de ton, et en même temps doux et agréable à l’œil, c’est ravissant.



Pompéi est une mine où l’on ne saurait trop miser ; mais malheureusement le temps manque pour faire et étudier tout ce que l’on voudrait. Il faudrait des jours là où on ne peut passer que des heures. J’ai passé quatre jours à Pompéi et je les ai employés à étudier la construction et l‚ornementation des anciens. Il est malheureux qu’à Pompéi la décadence se fasse déjà sentir ; on trouve bien souvent des choses de mauvais goût qui prouvent qu’à toutes les époques il y a eu du bon et du mauvais. Je n’ai point fait de restauration parce que je n’avais pas le temps et que les instruments nécessaires me manquaient.

Pendant ces quatre jours, je me suis promené seul dans Pompéi sans gardien, livré à moi-même et, parfois je me sentais reporté à une époque antérieure, je voyais ces rues animées, ces maisons habitées, la ville se réveillait pour moi. Quels beaux souvenirs ! Je me sens heureux maintenant de connaître un peu l’antiquité. J’ai vu Pompéi par le clair de lune, ce qui est un spectacle magnifique. La ville ne paraît plus morte : les ruines ne se distinguent plus, tout se noie dans une douce pénombre : la ville paraît endormie, et l’on s’étonne de ne pas entendre le bruit des passants attardés. J’ai visité Pompéi, et je crois qu’il n’y a pas de maison où je ne sois entré. J’en rapporte une connaissance assez parfaite, ce qui me permettra de mieux comprendre la Rome antique.

Je vis tout à fait à l’italienne : nous sommes deux à avoir pris pension chez un vieil Italien ; la nourriture est assez bonne somme toute, on est heureux dans ce pays. Tous les soirs après notre dîner, les habitants du pays viennent danser la tarentelle et jouer de la guitare ; ce qui ne manque pas de charme. C’est vraiment poétique de voir ces belles filles danser pieds nus, éclairées par la lune. Le temps est toujours beau, sauf un peu de pluie hier. Nous mangeons en plein air et, tous les jours, nous avons des oranges, des petits pois, des cerises, etc.

(à suivre…)


Pour mieux comprendre ce texte :

L’auteur : Ernest Le Tourneau (1843-1917) était architecte. Il avait vingt-trois ans lors de son voyage en Italie, et en a rapporté de nombreux dessins et/ou aquarelles.

Il a épousé en premières noces, au début de 1870, une jeune femme qui lui a donné un fils né au début de 1871. Il s’est remarié, probablement en 1873, avec Blanche-Laure Giraud (1850-1941). Ils eurent deux garçons, Marcel (1874-1912) et Fernand (1875-1959).

Marcel Le Tourneau, architecte comme son père, a épousé Marie Grouvelle (1883-1969), ils ont eu un enfant, Jean-Jacques, né en 1908, ingénieur des mines, ayant fait carrière à Saint-Gobain, lequel a épousé Geneviève Barbe-Abeille. Ils ont eu sept enfants, six garçons puis une fille.

Fernand Le Tourneau (1875-1959), chef d’entreprise (PMI), a épousé Madeleine Richard (1883-1952) ; ils ont eu trois garçons.

Le contexte historique :

En France, c’est le Second Empire (Napoléon III), avec un développement économique sans précédent.

En Italie, c’est la construction de l’unité italienne, qui s’est faite par à-coups, souvent guerriers, de 1859 à 1924, à partir du Piémont. Napoléon III apporta, dans ses débuts, une aide décisive. Depuis 1860, le Piémont, la Sardaigne, la Lombardie, l’Émilie, la Toscane, les Marches, l’Ombrie, les Abruzzes, la Campanie, les Pouilles, le Basilicate, la Calabre et la Sicile sont unis. En mars 1861, le royaume d’Italie a été proclamé sous l’égide de la Maison de Savoie. Seuls le Latium (reste des États de l’Église), la Vénétie et l’Istrie (Autriche-Hongrie) sont encore en d‚autres mains. En 1866, la défaite autrichienne devant la Prusse à Sadowa permet à l’Italie d’annexer la Vénétie. Ce sont les préparatifs de cette guerre qui sont évoqués par Ernest Le Tourneau.

Un opéra « Virginia » a été effectivement composé par Saverio Mercadante (et non Vercandanti, comme écrit dans le document transcrit ci-dessus) (1795-1870), lequel a écrit 70 opéras !

Le Vésuve a enseveli Herculanum et Pompéi en 79 après Jésus-Christ. Il y eut 11 périodes éruptives entre 1712 et 1872, et il sommeille depuis 1944. Il a eu une éruption en 1861, puis une autre en 1872, plus importante (20 morts).

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