L’apôtre saint Jean présenté par le pape Benoît XVI, lors des audiences générales des 5 juillet, 9 et 23 août 2006
Jean, fils de Zébédée
Nous consacrons notre rencontre d'aujourd'hui au souvenir [de] Jean, fils de Zébédée et frère de Jacques. Son nom, typiquement juif, signifie « le Seigneur a fait grâce ». Il était en train de réparer les filets sur la rive du lac de Tibériade, quand Jésus l'appela avec son frère (cf. Matthieu 4, 21 ; Mc 1, 19). Jean appartient lui aussi au petit groupe que Jésus emmène avec lui en des occasions particulières. Il se trouve avec Pierre et Jacques quand Jésus, à Capharnaüm, entre dans la maison de Pierre pour guérir sa belle-mère (cf. Marc 1, 29) ; avec les deux autres, il suit le Maître dans la maison du chef de la synagogue Jaïre, dont la fille sera rendue à la vie (cf. Marc 5, 37) ; il le suit lorsqu'il gravit la montagne pour être transfiguré (cf. Marc 9, 2) ; il est à ses côtés sur le Mont des Oliviers lorsque, devant l'aspect imposant du Temple de Jérusalem, Jésus prononce le discours sur la fin de la ville et du monde (cf. Marc 13, 3); et, enfin, il est proche de lui quand, dans le jardin de Gethsémani, il s'isole pour prier le Père avant la Passion (cf. Marc 14, 33). Peu avant Pâques, lorsque Jésus choisit deux disciples pour les envoyer préparer la salle pour la Cène, c'est à lui et à Pierre qu'il confie cette tâche (cf. 22, 8).
Cette position importante dans le groupe des Douze rend d'une certaine façon compréhensible l'initiative prise un jour par sa mère : elle s'approcha de Jésus pour lui demander que ses deux fils, Jean précisément et Jacques, puissent s'asseoir l'un à sa droite et l'autre à sa gauche dans le Royaume (cf. Matthieu 20, 20-21). Comme nous le savons, Jésus répondit en posant à son tour une question : il demanda s'ils étaient disposés à boire la coupe qu'il allait lui-même boire (cf. Matthieu 20, 22). L'intention qui se trouvait derrière ces paroles était d'ouvrir les yeux des deux disciples, de les introduire à la connaissance du mystère de sa personne et de leur laisser entrevoir l'appel futur à être ses témoins jusqu'à l'épreuve suprême du sang. Peu après, en effet, Jésus précisa qu'il n'était pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa propre vie en rançon pour une multitude (cf. Matthieu 20, 28). Les jours qui suivent la résurrection, nous retrouvons « les fils de Zébédée » travaillant avec Pierre et plusieurs autres disciples au cours d'une nuit infructueuse, à laquelle suit, grâce à l'intervention du Ressuscité, la pêche miraculeuse : ce sera « le disciple que Jésus aimait » qui reconnaîtra en premier « le Seigneur » et l'indiquera à Pierre (cf. Jean 21, 1-13).
Au sein de l'Église de Jérusalem, Jean occupa une place importante dans la direction du premier regroupement de chrétiens. En effet, Paul le compte au nombre de ceux qu'il appelle les "colonnes" de cette communauté (cf. Galates 2, 9). En réalité, Luc le présente avec Pierre dans les Actes, alors qu'ils vont prier dans le Temple (cf. Actes 3, 1-4.11) ou bien apparaissent devant le Sanhédrin pour témoigner de leur foi en Jésus-Christ (cf. Actes 4, 13.19). Avec Pierre, il est envoyé par l'Église de Jérusalem pour confirmer ceux qui ont accueilli l'Évangile en Samarie, en priant pour eux afin qu'ils reçoivent l'Esprit Saint (cf. Actes 8, 14-15). Il faut en particulier rappeler ce qu'il affirme, avec Pierre, devant le Sanhédrin qui fait leur procès: « Quant à nous, il nous est impossible de ne pas dire ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20). Cette franchise à confesser sa propre foi est précisément un exemple et une invitation pour nous tous à être toujours prêts à déclarer de manière décidée notre adhésion inébranlable au Christ, en plaçant la foi avant tout calcul ou intérêt humain.
Selon la tradition, Jean est « le disciple bien-aimé » qui, dans le Quatrième Évangile, pose sa tête sur la poitrine du Maître au cours de la Dernière Cène (cf. Jean 13, 21), qui se trouve au pied de la Croix avec la Mère de Jésus (cf. Jean 19, 25) et, enfin, qui est le témoin de la Tombe vide, ainsi que de la présence même du Ressuscité (cf. Jean 20, 2 ; 21, 7). Nous savons que cette identification est aujourd'hui débattue par les chercheurs, certains d'entre eux voyant simplement en lui le prototype du disciple de Jésus. En laissant les exégètes résoudre la question, nous nous contentons ici de tirer une leçon importante pour notre vie : le Seigneur désire faire de chacun de nous un disciple qui vit une amitié personnelle avec Lui. Pour y parvenir, il ne suffit pas de le suivre et de l'écouter extérieurement ; il faut aussi vivre avec Lui et comme Lui. Cela n'est possible que dans le contexte d'une relation de grande familiarité, imprégnée par la chaleur d'une confiance totale. C'est ce qui se passe entre des amis ; c'est pourquoi Jésus dit un jour : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis... Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que veut faire son maître ; maintenant je vous appelle mes amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître » (Jean 15, 13, 15).
Dans les Actes de Jean apocryphes, l'apôtre est présenté non pas comme le fondateur d'Eglises, ni même à la tête de communautés déjà constituées, mais dans un pèlerinage permanent en tant que communicateur de la foi dans la rencontre avec des « âmes capables d'espérer et d'être sauvées » (18, 10; 23, 8). Tout cela est animé par l'intention paradoxale de faire voir l'invisible. Et, en effet, il est simplement appelé « le Théologien » par l'Église orientale, c'est-à-dire celui qui est capable de parler en termes accessibles des choses divines, en révélant un accès mystérieux à Dieu à travers l'adhésion à Jésus.
Le culte de Jean apôtre s'affirma à partir de la ville d'Éphèse, où, selon une antique tradition, il oeuvra long-temps, y mourant à la fin à un âge extraordinairement avancé, sous l'empereur Trajan. À Éphèse, l'empereur Justinien, au VIe siècle, fit construire en son honneur une grande basilique, dont il reste aujourd'hui encore des ruines imposantes. Précisément en Orient, il a joui et jouit encore d'une grande vénération. Dans l'iconographie byzantine, il est souvent représenté très âgé — selon la tradition, il mourut sous l'empereur Trajan — et dans l'acte d'une intense contemplation, presque dans l'attitude de quelqu'un qui invite au silence.
En effet, sans un recueillement approprié, il n'est pas possible de s'approcher du mystère suprême de Dieu et de sa révélation. Cela explique pourquoi, il y a des années, le Patriarche oecuménique de Constantinople, Athénagoras, celui que le Pape Paul VI embrassa lors d'une mémorable rencontre, affirma : « Jean est à l'origine de notre plus haute spiritualité. Comme lui, les "silencieux" connaissent ce mystérieux échange de cœurs, invoquent la présence de Jean et leur cœur s'enflamme » (O. Clément, Dialogues avec Athénagoras, Turin 1972, p. 159). Que le Seigneur nous aide à nous mettre à l'école de Jean pour apprendre la grande leçon de l'amour de manière à nous sentir aimés par le Christ « jusqu'au bout » (Jean 13, 1) et donner notre vie pour lui.
(à suivre demain)